[RDV du Monsieur Georges] Cuisinés à petit feu
Concentration. A notre table cette semaine, l’ancien maire de Toulouse Pierre Cohen, l’auteur Christian Authier et la présidente de l’association Arc en ciel Noémie Henry, se sont prêtés au jeu du débat hebdomadaire du JT. Avec décontraction, mais sérieux, ils sont revenus sur la crise grecque, la limitation de vitesse à 80Km/heure sur la rocade, et les Unes des hebdos nationaux.
Par Coralie Bombail et Aurélie Renne
A la terrasse du Monsieur Georges, l’été a pointé le bout de son nez lundi midi. Les cinq gaspachos commandés font leur entrée, accompagnés d’une bouteille de Corbière… Nos invités ne perdent pas pour autant leur concentration. On entame ce débat sur un sujet de taille : la crise grecque. Les 19 ministres des Finances de la zone euro se sont réunis en début de semaine pour tenter de trouver un accord sur le sujet (entre autres). Pierre Cohen, seul politique de la table, se lance en premier : « La Grèce est étranglée et les partis politiques traditionnels n’ont pas su représenter le peuple grec dans leur souffrance. » Le socialiste qui fait bien le distinguo entre son parti et «les partis comme Syrisa et Podemos », estime que l’Europe doit « étudier avec attention les propositions du gouvernement grec, pour alléger la dette sans l’annuler ». Pour Noémie Henry, le problème remonte à l’entrée du pays dans la zone euro : « L’UE n’a pas mis les moyens pour injecter une dynamique économique dans ce pays, aujourd’hui une solution tente de se dégager de la zone euro, mais les pays représentés sont très différents politiquement et économiquement alors comment coordonner tout ça ? » Elle pointe directement une faiblesse de l’Europe, sur laquelle rebondit Christian Authier : « La Grèce s’est dotée d’un gouvernement alternatif qui subit une pression des pays de l’UE pour ne pas appliquer la politique pour laquelle il a été élu, cela interroge sur le système démocratique du pays… L’Union devient coercitive et autoritaire », dénonce l’auteur. Il rappelle que « ni le gouvernement, ni le peuple grec ne sont pour la sortie de la zone euro, c’est surtout l’Allemagne et les milieux d’affaire qui souhaiteraient cela. » « Les grecs ont mis de l’eau dans leur vin et sont prêts à faire des efforts considérables, notamment sur leur salaire », fait remarquer Noémie.
” Les grecs ont mis de l’eau dans leur vin “
Pierre Cohen surenchérit : « Syriza est un conglomérat de partis, en fait seulement deux d’entre eux étaient pour la sortie de l’euro. » Sachant cela, nos invités s’accordent sur la nécessité d’aider le pays à s’en sortir. L’ancien maire de Toulouse a son idée là-dessus : « Pendant 20 ans, l’UE a financé les infrastructures notamment de l’Espagne, il faudrait faire la même chose sur le plan industriel et économique. Orienter l’aide afin de créer des emplois et de servir le peuple. » Une belle idée, mais Christian Authier est sceptique : « On mégote pour un ou deux milliards, je ne vois pas comment l’Europe pourrait mettre en place un grand plan de relance… La Grèce doit se réformer, améliorer le recouvrement de l’impôt puis il faut voir comment restructurer ou annuler en partie la dette », estime-t-il.
Nous entamons les saumons aux petits légumes et le deuxième sujet à l’ordre du jour : la limitation à 80 km/h sur les rocades qui sera testée sur trois tronçons en France. Une déclaration du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, au Conseil national de la sécurité routière lundi dernier, dans l’objectif de réduire le taux de mortalité sur les routes. « Ce taux de mortalité est dû à quoi ? A l’alcool ? Au sommeil ? Aux stupéfiants ? Avant de taper sur la vitesse, il faudrait s’intéresser à tous les facteurs », réagit d’emblée Noémie Henry. Christian Authier ramène la discussion au niveau politique : « Comme les gouvernements ont du mal à agir sur l’économie et le social, ils s’attaquent à des sujets tels que la lutte contre le tabagisme, contre l’anorexie… Une ancienne ministre a compté le nombre de scène de tabagisme dans les films, est-ce qu’ils n’ont pas autre chose à faire ? » L’analyse ne convainc pas Pierre Cohen : « Heureusement que les politiques s’emparent de ces problèmes qui relèvent de la santé publique. » Pour lui, le sujet est « éminemment politique », et poursuit le parallèle avec la loi contre le tabagisme passif :« Aujourd’hui personne ne remettrait en cause l’interdiction de fumer dans les lieux publics ».
” On tape toujours sur l’automobiliste “
« Hypocrisie » pour Christian Authier, « on fabrique, on vend on achète des voitures toujours plus performantes et on baisse les limitations de vitesse, tout comme on continue de vendre des paquets de cigarettes avec des images traumatisantes, si c’est dangereux il faut aller au bout de la logique et interdire ! » lance-t-il, un brin provocateur, sans penser pour autant que ce soit la bonne solution. Le sujet pose également le problème de la place de la voiture dans la ville : « On tape toujours sur l’automobiliste alors que les transports en commun ne sont pas encore assez développés, il y aurait plein de choses à faire mais c’est trop contraignant et trop coûteux. » Pierre Cohen, souvent attaqué lorsqu’il était maire de vouloir ‘‘pénaliser la voiture’’, a son mot à dire : « Je me suis engagé à réduire la place de la voiture sans l’enlever, pour un meilleur partage de l’espace public », explique-t-il. Sur ces bonnes paroles, nous passons au dessert : que révèle l’évolution des Unes des hebdos français ? Lemonde.fr a réalisé sur cinq supports (L’Obs, L’Express, Le Point, Marianne, et Valeurs actuelles) et il en ressort que les Unes politiques ne figurent plus au top des ventes alors que les sujets psycho, santé, histoire, vie pratique mais aussi tout ce qui concerne les valeurs comme la morale et la laïcité ont de plus en plus de succès. « La politique au sens le plus politicien du terme a lassé les gens », remarque Christian Authier. « Il faut faire la différence entre ce qui peut agacer les gens, les petites phrases, la communication artificielle et la politique » ajoute Pierre Cohen, « tout est politique, le burn-out (un des sujets prisés par les hebdos) par exemple pose la question des conditions de travail, de la façon dont le monde salarial est mis sous pression, et sous-tend aussi le débat sur la compétitivité. » Pour Noémie Henry, les médias ont leur responsabilité dans cet état de fait : « Une petite phrase fait souvent la Une, plus personne ne fait la différence entre la droite et la gauche et on a l’impression que les politiques passent plus de temps à se tirer dans les pattes qu’autre chose ! Et en attendant, c’est Marine Le Pen qui apparait comme étant la plus proche du peuple… » Christian Authier soulève une autre cause : la télé réalité, « qui a changé le paysage audiovisuel français, alors ce n’est pas étonnant que les gens s’intéressent plus à Julie Gayet qu’aux vrais sujets. » Voilà qui est dit. Le café permet de poursuivre la discussion sur la situation de la presse écrite en général, la course à l’information des chaînes en continu… etc. Bref, nous repartons tout de même avec le sourire !
Mini-bios :
Noémie Henry : co-présidente de l’association Arc-en-ciel (fédération LGBT-lesbiennes gays bi et trans- de Toulouse et Midi-Pyrénées) depuis un an. Elle est très impliquée dans la vie associative, notamment chez Aides en tant que militante et bénévole dans une association qui initie à la langue des signes.
Pierre Cohen : Initialement ingénieur de recherche à L’Inria son parcours professionnel est très vite chahuté par la politique. Membre du parti socialiste, il a été député de la troisième circonscription de la Haute-Garonne pendant 15 ans, maire de Ramonville pendant 4 mandats puis maire de Toulouse et président de la Communauté d’agglomération pendant 6 ans. Il est aujourd’hui conseiller municipal d’opposition.
Christian Authier : Historien de formation, Christian Authier passe sur les bancs de l’IEP avant de se tourner, à 25 ans vers l’écriture. Il signe notamment dans les pages du Figaro Littéraire et de Charlie Hebdo. Aujourd’hui journaliste à L’opinion Indépendante, il est aussi l’auteur d’une quinzaine de romans et d’essais.