Désillusion. Cette semaine, nous avons invité deux artistes pour débattre d’une actualité nationale et internationale brûlante. Sur fond d’élections législatives partielles dans le Doubs, d’évasions fiscales avérées et de récompenses des Grammy Awards, Matthieu Miegeville (chanteur du groupe Terre Neuve Collective) et Elisabeth Matak (pianiste lyrique) ont confronté leurs points de vue, pas toujours sur la même note.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
La douceur du velouté de potiron servi en verrine individuelle n’aura pas suffi à faire passer le premier de nos sujets, qui reste en travers de la gorge de nos invités. Malgré une tablée plutôt détendue, l’évocation des résultats des élections législatives partielles qui avaient lieu dans le Doubs le week-end dernier, crispe quelque peu nos invités. Au second tour, le candidat du Parti socialiste l’a emporté d’une courte tête face à son adversaire du Front national, mais nous nous interrogeons : s’agit-il d’une victoire du PS ou de la défaite du FN ? Pour Elisabeth Matak « c’est clairement une défaite de la démocratie ! » Quant au FN, « même eux ne parlent pas d’échec, alors… », constate Matthieu Miegeville. À l’unisson, les convives ne sont pas très optimistes, précisant que « l’abstention n’est pas responsable du fiasco de la gauche, car elle a toujours été élevée dans ce type d’élection. C’est le FN qui gagne du terrain », poursuit le chanteur qui, quelques années plus tôt, hurlait le refrain de « Bérurier Noir » : « La jeunesse emmerde le Front national ». Pour lui, il s’agit d’un combat quotidien qui permettrait de proposer une alternative au FN et « qui cessera le jour où ils seront au pouvoir et qu’ils seront incapables de gérer les affaires étatiques ! » Opinion qui fait réagir Elisabeth Matak, horrifiée par la perspective qu’il faille attendre que Marine Le Pen accède à l’Elysée pour inverser le processus. Mais, fataliste, Matthieu continue : « il ne faut plus se demander « est-ce que », mais plutôt « quand » !» Sa comparse d’un jour a peut-être une idée « pour ne pas en arriver là ! Maintenant que le FN a gagné quelques municipalités, nous pouvons dresser un bilan de leurs actions politiques, ce qui n’était pas le cas auparavant. C’est comme cela qu’il faut les combattre ! » Et c’est bien ce qui embêtent les politiques pour le chanteur, « devoir aller sur le terrain pour travailler à leur pertinence et ainsi prouver que leur programme est meilleur que celui du Front national. » Se reposer sur leurs lauriers est ainsi ce que reprochent nos invités à la classe politique. Peut-être par peur de devoir finalement traiter le FN comme les autres partis, s’interroge-t-on autour de la table.
« La lutte contre la fraude fiscale était une promesse électorale de François Hollande »
Sur cette question restée en suspens, le débat dévie sur la révélation par la presse de la liste des personnalités ayant ouvert un compte en Suisse pour échapper au Fisc. Fourchette à la main pour entamer le plat de résistance, Matthieu Miegeville et Elisabeth Matak se remémorent les derniers événements de l’affaire dite « Swissleaks » faisant état de malversations financières couvertes par la filiale suisse de la banque britannique HSBC. D’autant plus outrés « que la lutte contre la fraude fiscale était une promesse électorale de François Hollande », rappelle la pianiste lyrique, poursuivant : « vous vous rendez compte, on parle de 180 milliards d’euros en quelques mois, dont 5 milliards en France. C’est la moitié de la dette grecque ! » Cette somme est difficilement appréhendable pour le commun des mortels, « je n’arrive même pas à concevoir la chose », confie Matthieu. Pour lui, personne ne bouge réellement car tous les pays concernés ont des cadavres dans les placards et dans ce cas, il vaut mieux ne pas faire trop de vagues. Pourtant, « ceux qui se refusent à alimenter notre système, sont les premiers à en bénéficier », souligne le seul homme du déjeuner. Et très vite la question des sanctions encourues arrive sur la table. « Ils ne risquent que du sursis et peut-être rien s’ils régularisent leur situation. Il faudrait peut-être réfléchir à des sanctions plus dissuasives… » pense tout haut le chanteur de « Terre Neuve Collective ». À titre de comparaison, que risque un artisan qui travaille au noir et ne déclare donc pas l’intégralité de ses revenus ? La question taraude nos invités, avant qu’Elisabeth Matak ne lâche : « il s’agit en réalité de délinquance financière. L’argent tourne les têtes, c’est bien connu, mais au fil de ce genre d’affaires, c’est toujours les mêmes banques qui sont citées. Il serait tant de faire quelque chose, une bonne fois pour toute ! » Est-il possible de réussir en gardant les mains propres ? C’est en tout cas le doux rêve caressé par nos convives, même si l’on sent une pointe de désillusion dans leur voix. Et c’est finalement la colère qui l’emporte, Matthieu prévoyant une réaction violente de la population désabusée par tant d’injustice : « J’ai écrit une chanson dans laquelle je parle d’une personne désespérée qui sortirait une arme à Wall Street. C’est peut-être ce qui arrivera un jour. En tout cas, je m’étonne que les gens restent aussi calmes face à tout ce qui passe autour d’eux ! » Et Elisabeth de rajouter : « Je regrette que les citoyens ne s’organisent pas plus pour lutter. Tout est fait pour que les responsabilités soient floutées, pour amuser les gens afin que leur attention soit détournée des faits importants ! »
« Le rock français, c’est comme le vin anglais ! » John Lennon
Et c’est l’arrivée des cafés qui détourne finalement la nôtre, nous permettant ainsi d’aborder le dernier sujet du jour, les Grammy Awards. Immédiatement, la pianiste nuance l’événement : « la vraie culture n’est pas celle de la compétition. Tout le monde doit pouvoir trouver sa place ! » Sans compter que les récompenses sont ici basées sur les succès populaires et ne laissent pas forcément la part belle à la création, constatent Matthieu et Elisabeth. Et naturellement, la comparaison avec les Victoires de la musique ne se fait pas attendre. On aurait pu penser que le jury français avait moins tendance à récompenser les succès commerciaux que les compétitions américaines… Que nenni, rétorque Matthieu : « le jury des Victoires est constitué par des gens qui travaillent dans les labels, et plus la maison est grande et plus elle bénéficie de voix… » Evoluant tous deux dans le milieu culturel, nos invités sont donc plutôt bien placés pour en parler. « Ce qui passe à la télévision représente 1% de la création culturelle réelle. 99% des productions ne seront donc jamais entendus si les gens se cantonnent à regarder leur petit écran », se lamente le chanteur, précisant que le rock hexagonal est peu intéressant. Et comme le disait John Lennon, « le rock français, c’est comme le vin anglais ! » Tout est dit. Et c’est le manque d’originalité qui en serait à l’origine. « C’est la même chose pour la musique classique », coupe Elisabeth, « où l’on retrouve cette notion de produit. Les artistes sont formatés et je suis nostalgique des musiciens hors moules ! » Autrement dit, sur la dernière gorgée de café, « c’est en faisant de la scène que l’on apprend le métier, pas en enregistrant une vidéo sur Facebook qui sera suivie d’un appel au don sur des plateformes de financement collaboratif », conclue Matthieu Miegeville.
Mini-bios :
Elisabeth Matak : Pianiste au théâtre du Capitole, Elisabeth Matak est militante Europe Ecologie Les Verts depuis 2009. Elle est aujourd’hui secrétaire d’EELV Toulouse, un rôle de « coordinatrice» selon sa propre définition. Elle, qui ne se considère pas comme « une personnalité », fait pourtant son bout de chemin en politique locale. La militante se présente aux prochaines élections départementales sur le Canton 6, en binôme avec l’écologiste Denis Rouillard.
Matthieu Miegeville : « Troubadour des temps modernes qui chante l’amour et la désolation. » Matthieu Miegeville, chanteur du groupe Terre neuve collective, est un artiste aux multiples facettes : musicien, écrivain mais aussi « manager et coach d’artistes ». Avec son association Jerkov musique (label musical et agence de booking), il permet la découverte de jeunes talents et organise diverses actions socioculturelles.
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