[RDV de la Pergola] La politique au cœur du menu
Fait divers, antisémitisme et politique : ce trinôme a transformé le déjeuner en véritable moment de réflexion et d’analyse. Deux heures durant, un politicien, un photojournaliste et un économiste ont dépeint la société française, évoquant des problèmes de fond et des principes déontologiques.
Par Séverine Sarrat et Simon Pialat
L’entrée n’est pas encore servie que le premier sujet d’actualité, très délicat, tombe dans l’assiette. La profanation de tombes dans un cimetière juif du Bas-Rhin ne laisse pas indifférents les trois invités. « On peut être révulsé et se dire que tout ça n’a pas de limite morale » affirme calmement mais froidement Joël Echevarria. « C’est déjà incompréhensible que l’on puisse s’attaquer à des caricaturistes. Ça correspond à quoi de profaner des tombes du XIXème siècle ? » L’économiste fait très clairement référence à l’attentat visant Charlie Hebdo. Le trésorier de l’ UDI 31 Grigori Michel se montre catégorique et va encore plus loin dans la réflexion.
« L’ensemble de la classe politique doit condamner de tels actes » et toute violence émanant de sympathisants de tout parti confondu, à moins d’en être complice. « Si l’on ne condamne pas, c’est que l’on est complice ». Cette violence n’est visiblement pas nouvelle. « C’est horrible mais j’ai cru lire que l’histoire se reproduit » explique Frédéric Scheiber. « Ce cimetière avait déjà été profané en 1998 et en 2001. » Profession oblige, le photojournaliste s’intéresse à l’actualité et au web. Une vidéo a particulièrement retenu son attention et « symptomatise » bien le problème. Une personne portant la kipa à New-York et à Paris n’échappe pas à une « grande violence » dans la capitale française, contrairement à son homologue américaine. Le mode de vie multiculturel paraît davantage intégré outre-Atlantique que dans les mœurs françaises. Les fortes tensions entre les autorités et la communauté afro-américaine de Ferguson ont pourtant inversé la donne. Hélas, c’était sans compter sur de nombreuses anecdotes, dont les profanations, agressions verbales et actes criminels. « Il y a un fondement de racisme en France » conclut l’économiste d’origine espagnole dont une parente a elle-même subi la discrimination.
Le fond du problème est en grande partie lié à l’esprit « trop laïc » qui règne en France, à en croire le photojournaliste qui met en parallèle un problème d’éducation. « Tout ce qui est devenu signe d’appartenance religieuse est donc mal perçu ». Joël Echevarria prône néanmoins la prudence « sur la réaction à chaud » dans ce type de sujets. « Il ne faut pas tirer les conclusions trop rapidement sans connaître les détails ». Le président du groupe de réflexion insiste d’ailleurs sur l’importance du traitement de l’information ; point sur lequel le candidat UDI est totalement en accord avec lui, s’appuyant sur le rôle primordial de la classe politique et de la sphère médiatique. « Il faut revenir aux fondamentaux de la République. Il n’y a plus de tolérance ». Sur le problème de la violence scolaire, par exemple, il n’est pas seulement question « d’une forme de harcèlement mais aussi d’une défiance envers telle ou telle communauté. Il n’y a plus ce recul de comprendre ce qui s’est passé. Quand on voit les réactions, on peut se dire que la France tend vers des jours… difficiles. »
Un retour vers le passé ? « Il y avait un antisémitisme cruel à l’époque, présent sur les images, les couvertures et dans les expositions » précise Frédéric Scheiber. « Il faut se demander pourquoi c’était déjà présent dans les années 1930 et pourquoi on a laissé faire ça » d’autant plus qu’il y a aujourd’hui, comme autrefois, « ce petit problème de crise ». Pour Joël Echevarria, l’Etat n’est pas non plus le seul fautif. « Avec les frères Kouachi, par exemple, il a toujours su jouer son rôle et ne les a jamais laissés tomber. » Les trois invités ne vont pas jusqu’à affirmer qu’il y a une massification de la violence, simplement plus d’actes poussés à l’extrême. Grigori Michel insiste sur le rôle de « la classe politique qui se saisit très mal du problème et a encore beaucoup de mal à l’identifier. Il y a la montée du Front national et certains politiques jouent avec le feu en ciblant une certaine minorité, pour leur électorat et leurs croyances populaires », regrette amèrement le jeune cadre UDI. D’un autre côté, se font entendre les discours d’après lesquels il ne faut pas généraliser. « Mais il n’y a pas d’unité dans tout ça ». Le politicien reste convaincu de la nécessité d’ « une réponse européenne à un contexte qui n’est pas national ».
En parallèle, le parti d’extrême-droite a quant à lui conquis de nombreuses mairies après une large victoire aux élections européennes en France. Les trois invités remarquent d’ailleurs des similitudes entre les deux extrêmes, tous deux basés sur le populisme et « très proches sur les plans de l’économie et du social ». Mais c’est vers la vague bleue Marine que la discussion converge. « L’erreur des politiques a été de diaboliser le FN et de ne pas l’amener sur le fond de ses idées. Il faut en parler mais pas le diaboliser. » Les trois interlocuteurs constatent néanmoins une porosité entre l’UMP et le FN. L’un a durci le ton, l’autre a au contraire mis de l’eau dans son vin. La limite a-t-elle été franchie de part et d’autre ?
« Une société où le sexe est tabou »
Aux yeux de Joël Echevarria, pour qui le cumul et la multiplicité des mandats demeurent de vrais problèmes, la structure politique doit être entièrement revue. « L’offre correspond à la demande » proteste Grigori Michel. « Si les gens avaient choisi de nommer les hommes politiques pour leurs idées, leur exemplarité et non leur image, on n’en serait pas là. Beaucoup ont plus d’ambition pour eux que pour la France. Des personnes politiques avec des idées se sont donc repliées, voire retirées, car leurs messages ne sont pas passés et ils se sont fait bouffer par des carriéristes qui étaient plus rusés. » Frédéric Scheiber souligne un système anglo-saxon où « les politiques se font émincés pour beaucoup moins que ce qui est fait en France ».
Ceci étant dit, une longue page de politique s’apprête à se tourner, pour laisser place à un sujet beaucoup plus « soft » à l’approche du dessert : le phénomène culturel 50 nuances Grey. « Alors ça c’est du lourd ! » ironise-t-on autour de la table à la simple évocation de la tendance porno-chic soft. Surprise ! Personne n’a lu le livre, ni visionné le film. « Je le vois plus comme un film féminin » glisse Frédéric Scheiber. En France, le film est interdit en salles pour les moins de 17 ans, outre-Atlantique pour les moins de 12 ans. « Ça montre que l’on est dans une société où le sexe est tabou ». Pour sa part, l’économiste remet en cause un paradoxe à l’américaine « où l’on censure un bout de téton et, à côté de ça, on laisse visionner des cervelles éclatées ». Très discret sur le sujet, le politicien sort de son silence et lève le problème de l’interdiction par peur que le phénomène devienne la norme : autant interdire l’homosexualité de peur qu’elle se généralise. Lui non plus n’a pas vu le film. En revanche, il conseille vivement le thriller politique « L’enquête » de Vincent Garenq, relatif à l’affaire Clearstream. En voilà un qui n’a pas raté sa vocation !