Alors que les avocats commis d’office se mobilisent pour dénoncer un système chronophage et mal rémunéré, les policiers eux manifestaient à Paris pour protester contre la « rupture police justice ». Ces deux milieux professionnels, contraints de travailler ensemble, trouveront-ils un terrain d’entente ?
Claude Choplin
Secrétaire général fédéral FPIP-Eurocop
Le philosophe Pascal a dit : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». Je suis tenté de dire que la police a ses raisons que la justice ignore. Vouloir réconcilier police et justice, c’est marier le chat et le poisson, tellement ces entités régaliennes sont actuellement éloignées l’une de l’autre. Aujourd’hui, dès qu’un policier utilise son arme, il est suspect. Que les conditions d’utilisation de l’arme soient contrôlées, c’est normal, nous ne sommes pas des justiciers. Dans les secteurs difficiles, les juges doivent comprendre que le vouvoiement, le « s’il vous plait monsieur » ont souvent pour réponse des insultes et des jets de projectiles. Toute expression d’autorité est devenue insupportable pour une frange de la population française. Les policiers se trouvent désormais désarmés face à la délinquance et retrouvent quotidiennement face à eux des individus interpellés la veille. C’est une situation créatrice de doute, d’incompréhension et souvent de colère à l’égard de celles et ceux qui ont en charge le rendu de la justice. Alors que faire ? Parlons-nous ! Dans un esprit de reconquête de l’estime des magistrats et inversement, la FPIP a adressé un courrier au président de la Chambre de commission des lois ainsi qu’à tous les députés demandant une révision du cadre de la légitime défense. Les permissions accordées aux détenus criminalisés doivent être supprimées. Certains affirment que les détenus qui ne respectent pas ces permissions de sortie représentent tout juste 0,5% du total. Mais à leurs yeux, que représente la vie d’un policier, hormis des statistiques ? Créons des places en prison par la construction de nouveaux établissements qui permettrait de séparer les primo condamnés des récidivistes, les « radicalisés » des autres détenus. L’augmentation des incarcérations induite par une politique judiciaire plus répressive engendrerait une crainte plus grande du côté des fauteurs de trouble et entamerait les nombreuses velléités à perturber l’ordre républicain. La justice à l’égard des délinquants a perdu sa crédibilité, la peur doit changer de camp. La place de la justice et de la police doit être la même.
Stella Bisseuil
Avocate au barreau de Toulouse, spécialisée en droit des personnes
La police et la justice concourent au maintien de l’ordre et à l’application de la loi et sont donc les piliers d’un Etat de droit. Mais au-delà de cet objectif commun, leurs fonctions diffèrent. La police poursuit et arrête les personnes suspectées d’être les auteurs d’une infraction, les magistrats les jugent. Et il est un principe intangible dans tout Etat de droit, qui tient à la séparation de ces deux pouvoirs : il est absolument interdit qu’une même personne poursuive et juge ensuite la personne arrêtée. Il y a là forcément une frustration mais elle est salutaire car elle est le gage de l’équilibre des pouvoirs.
La police souhaite que la justice fasse preuve de plus de fermeté mais certaines infractions ne justifient pas de longues peines de prison, mais plutôt un traitement social. On utilise actuellement des moyens que l’on pourrait qualifier « d’hypocrites ». Ce sont les « mesures alternatives aux poursuites » : le procureur choisit d’envoyer certains dossiers vers les Maisons de la justice et du droit pour un classement sans suite avec un simple avertissement qui intervient souvent plus d’un an après les faits. Ce n’est donc pas réellement un traitement social ou éducatif, mais, finalement, un traitement simplement « administratif » qui, sur le terrain, laisse un fort sentiment d’impunité. De plus, faute de place dans les prisons, et d’une véritable refonte de l’utilité et du régime de la peine d’emprisonnement, même lorsque les auteurs sont condamnés, les juges d’application des peines interviennent massivement pour modifier la durée et même le contenu de la peine. Cette possibilité, qui s’exerce dans le huis clos des cabinets des juges, peut apparaître comme faussant la règle du jeu et la sécurité des décisions judiciaires.
La justice, c’est finalement la règle du jeu social, et il est impératif qu’elle soit lisible, compréhensible et transparente. Ainsi, pour réconcilier police et justice, la balle est dans le camp du législateur qui doit repenser les règles judiciaires d’une société moderne.
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