Chère Médecine de France,
Il est des moments où l’histoire vous appelle, où la décision à prendre vous engage, où quelle que soit la voie choisie, notre responsabilité est engagée. Parce que dans ces moments-là, nous sommes, quoique nous fassions, indéfectiblement liés aux autres. Ce moment est de ceux-là.
Vous êtes médecins, soignants, et face à vous tous, sonne l’heure du choix. Le choix de s’engager face à la loi Touraine ou le choix de laisser faire. L’heure de votre responsabilité sonne. La loi Touraine fait de l’Etat le responsable de la politique de santé. Elle met en place le tiers payant généralisé obligatoire, rend le médecin dépendant du financeur, surveille sa pratique et le parcours du patient au travers du Dossier National Médical Partagé. Elle bafoue et détruit le secret médical, ouvre l’accès au Dossier National Médical Partagé à des non-soignants, crée une base de données patients, autorise son accès et la vente des données au marché. Elle donne tous les pouvoirs aux Agences Régionales de Santé : détermination du lieu d’installation, obligation de regroupement, imposition des projets médicaux, orientation des pratiques médicales. Elle permet, au sein du Tiers Payant Généralisé, le désengagement de la Sécurité sociale et l’augmentation de la part de remboursement réalisé par les complémentaires. Elle précipite la médecine dans les réseaux de soin, livre le financement du soin au privé. Elle déchire la médecine de France, supprime la liberté des médecins et des patients, nie leur indépendance. Elle rompt avec des siècles de médecine individualisée et construit une médecine aux ordres d’autres intérêts que le soin.
Nous sommes médecins, nous sommes soignants, nous ne sommes pas là par hasard. Nous sommes porteurs et relais de valeurs. Nous donnons la vie, faisons face à la souffrance, sommes confrontés aux drames les plus terribles, aux peines insoutenables et aux joies les plus belles. Nous savons les regards, les gestes les plus anodins. Nous sommes pétris de doutes, nous savons la complexité de l’humain. Si la technique et les progrès de la science font notre art, jamais nous n’oublions que chaque homme est unique. Nous sommes garants du secret, porteur de la confiance qui nous est donnée, les gardiens d’un temple, un ciment sociétal.
« Je fais le choix de la liberté de soigner »
L’heure du choix sonne. C’est ici et maintenant. Jamais il n’y eut de choix plus important, de responsabilité plus grande. Parce qu’au-delà des apparences et de la communication, des chiffres et des statistiques présentés comme nécessité, nous savons les conséquences et les risques. Indispensables humains pour les humains, chacun plus important encore à l’heure de la médecine 2.0, nous ne pouvons nous exonérer de notre devoir de parole et d’action.
La loi Touraine est une loi de rupture sociétale. Elle ouvre grand la porte des porteurs de certitudes. Du faux prophète du marché au décideur dogmatique, elle fait de la santé une ressource économique. Elle oublie l’homme derrière la cohorte. Elle fait du médecin un outil, du patient un chiffre. Il nous appartient de nous lever, de trouver en nous le courage de résister ou de nous taire et de prendre l’entière responsabilité des drames annoncés.
Je ne suis qu’un médecin parmi vous tous, formé, construit par la médecine de France. Je fais le choix de la liberté de soigner, de l’indépendance, du secret médical. Celui de la protection de l’éthique et de la déontologie, de l’homme face à la finance et au marché. Le choix de la responsabilité face à l’obéissance, de la résistance. Quel sera votre choix ?
Dr Jérôme Marty
Président de l’Union Française pour Une médecine Libre (UFML), le Dr Jérôme Marty a participé à la fondation de cette association nationale de médecins du secteur libéral et public hospitalier. Ses buts sont de défendre les valeurs de la médecine : liberté et indépendance de pratiques, liberté de soigner et d’être soigné, secret médical… Directeur d’un établissement de soins et suite, le Dr Marty est aussi médecin généraliste secteur 1 à Fronton. En 2001, il était à la base de la Coordination des Médecins Exerçants en Clinique, qui organisait la fermeture du secteur hospitalier privé pour la défense du salaire des infirmières, et s’engage auprès des « Médecins ne sont pas des Pigeons ».
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