DECROCHAGE. De l’image des premiers vacanciers bénéficiant des congés payés du Front Populaire à aujourd’hui, nos aspirations liées au temps libre ont sensiblement évolué. Le repos reste central, mais qu’attend-on désormais au moment de décrocher de la sphère professionnelle ?
« Lorsque le Front populaire a instauré les deux semaines de congés payés en 1936, le travail structurait complètement nos sociétés. Il s’agissait d’offrir une sortie de cet univers. Aujourd’hui, alors que nous ne travaillons plus que 10 % de notre vie, les congés sont un temps libre parmi les autres», précise le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au Cevipof/CRNS, le centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. Aujourd’hui, nous partons davantage. En 2010, selon l’Insee, les salariés en CDI avaient posé en moyenne six semaines de congés dans l’année. Soit une de plus que le quota traditionnel, grâce notamment aux RTT. C’est surtout trois fois plus que les deux semaines instaurées en 1936.
Souffler, bouger
Mais nos aspirations ont changé. Certes, le besoin de souffler reste essentiel : physiquement pour certains, moralement pour d’autres, à l’heure de l’augmentation du stress au travail et de l’hyperconnexion qui prolonge la sphère professionnelle dans la vie privée. Pourtant, Olivier Hoibian constate une certaine contradiction dans nos souhaits. «Ce besoin de ralentir le rythme, de décrochage, d’authenticité s’accompagne également d’une volonté d’être actif socialement et de participer à de grandes manifestations collectives», note l’enseignant chercheur au Centre de recherche en sciences sociales, sports et corps (Cresco), laboratoire de l’université Paul-Sabatier. « Prendre ses congés en août, au moment où toute la société est en vacances, a été et reste une manière d’appartenir à la communauté nationale», confirme Jean Viard.
La maison, premier lieu de vacances
Couper du travail est une chose, s’offrir un séjour en reste une autre. Si la grande majorité prend ainsi ses congés l’été – en accord avec les rythmes scolaires, qui avaient eux-mêmes été définis pour répondre aux besoins de jeune main-d’œuvre au moment des récoltes – nombreux sont ceux qui ne partent pas en vacances. «La barre des 40 % a même été franchie en 1998 et le phénomène tend à s’aggraver depuis», rappelle Olivier Hoibian. Les classes populaires sont évidemment les plus touchées.
Autre tendance : la multiplication des séjours courts plutôt qu’un long départ unique. Sachant que, dans tous les cas, la moyenne annuelle des vacances s’établit à quinze jours. «La maison reste le premier lieu de ses congés. Si l’on a autant transformé nos villes, c’est parce que l’on y passe de plus en plus de temps », ajoute Jean Viard. Une nouvelle dynamique, loin des grandes politiques d’aménagement des côtes, de la naissance des villages de vacances en 1958, ou des plans neige des années 1960 et 1970, qui avaient permis aux plus modestes de découvrir les vacances. Mais un phénomène qui témoigne bien de notre recherche accrue de temps libre, symbolisée par un ministère dédié sous François Mitterrand.
L’exemple d’Evercontact, évoqué dans ce dossier, ou celui du patron de Virgin, Richard Branson, qui avait émis l’hypothèse de congés illimités dans son groupe en 2014, restent cependant marginaux. «Des phénomènes périphériques qui reflètent plutôt de nouvelles sensibilités» pour Olivier Hoibian. La démonstration que «l’on se dirige vers une société du temps souple» pour Jean Viard, qui évoque l’exemple néerlandais : chaque salarié y déclare son temps de travail souhaité le mois suivant.
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