STRATEGIES. Il est des débats où les arguments des uns enrichissent les raisonnements des autres. Frédéric Pradal et Serban Iclanzan en font la démonstration en échangeant leurs points de vue sur des sujets tels que le mouvement “Hé oh la gauche”, la traité TAFTA et la menace de Vincent Bolloré de fermer Canal+.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
Il paraît qu’une bonne bouteille de vin délie les langues… Mais nul besoin d’en rajouter, nos deux invités du jour n’ont pas pour habitude des faux-semblants. Pourtant, attablé au Télégramme, devant des joues de bœuf aux carottes, un Saint Nicolas de Bourgueil nous accompagne… Une fois n’est pas coutume ! Aussitôt que Frédéric Pradal et Serban Iclanzan ont fait connaissance, nous lançons le premier sujet : le mouvement “Hé oh la gauche”. Porté par Frédéric Le Foll, porte-parole du gouvernement, cette initiative vise à mettre un terme au Hollande bashing et à évoquer le chemin parcouru par le président et son équipe. « Personnellement, j’aurais plutôt choisi “Olé la gauche” », lance le professionnel du bâtiment amusé. « Ou “sauve-qui-peut !” » renchérit Serban Iclanzan. La communication positive du gouvernement raisonne pour nos invités comme une incantation, « mais ce qu’il faut retenir, c’est que la gauche a raté le passage à la social-démocratie ! » estime l’élu. Alors qui pourra mener la campagne des présidentielles pour le Parti socialiste ? « Seules trois personnes peuvent y prétendre : E. Macron, mais il n’est plus dans la même réalité que les socialistes ; M. Valls, mais il s’est tiré une balle dans le pied lorsqu’il est devenu Premier ministre ; et F. Hollande, mais il incarne maintenant l’immobilisme », résume le patron de la Gazette du Midi. Mais pour Frédéric Pradal, il ne fait aucun doute que c’est bien François Hollande qui sera candidat pour le PS, « tout comme il ne fait aucun doute qu’il ne passera pas », précise-t-il. Pour eux, la politique de la Ve République est figée car elle reconduit sans cesse les mêmes process, quels que soient les hommes au pouvoir… Pour le créateur de Bati Vigie, le problème majeur reste le manque de courage des gouvernements successifs : « Tout est trop consensuel. Il faut que quelqu’un ose donner un grand coup de pied. Il faut prendre des risques… » Pourtant, le CICE, le pacte de responsabilité, le plan formation… ont bien été mis en place et la droite convient de leur utilité. « Car il s’agit moins d’une prise de conscience que d’une prise de risque », lance Serban Iclanzan. Frédéric Pradal analyse les choses… plus sèchement : « Si un parti devait s’attaquer au Code du travail, c’était bien la gauche. Ils ont tenté de le faire mais ils n’ont pas été au bout. Il manque un patron au PS ! » L’élu de droite n’entrevoit pas les choses de la même manière et synthétise pragmatiquement : « ce n’est pas un problème de gauche ou de droite ! Il convient de voir le monde tel qu’il est, réellement ! Ne pas se voiler la face quant aux vrais problèmes. Ensuite, les valeurs de chaque parti feront la différence. » Déterminé, le chef d’entreprise lance comme un cri de guerre : « Attaquons-nous alors aux vraies difficultés : les problèmes économiques ! »
« Tout est trop consensuel. Il faut prendre des risques »
Et c’est justement à ces enjeux, mais à l’échelle mondiale, qu’entend répondre le traité TAFTA de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe, en cours de négociations. « Je suis pour… à condition que les règles soient les mêmes pour tous ! Alors il faudra que nous défendions nos intérêts mais à ce jeu-là, les Américains sont bien plus forts ! » déplore Frédéric Pradal. « Le marché outre-Atlantique est cohérent quand l’Europe ne parvient pas à s’entendre. Eux ont un fonctionnement fédéral qui pousse dans un même sens quand nous nous sommes arrêtés à l’Europe de Maastricht. Nous n’avons pas achevé notre évolution et laissé la porte ouverte à du dumping social, à un marché non régulé », explique Serban Iclanzan. Il semblerait que l’Europe ne soit pas prête à peser face aux États-Unis dans les négociations. « Hollande a complètement démissionné concernant ce dossier, préférant se concentrer sur des considérations électoralistes », constate le créateur de Bati Vigie, soutenu par son voisin de table qui insiste sur l’importance de ce traité : « Pourtant si nous ratons ces négociations, nous allons sortir de l’histoire économique mondiale. La France doit s’imposer comme un interlocuteur indispensable et ce n’est pas le cas, B. Obama préférant discuter de ce dossier avec A. Merkel plutôt qu’avec F. Hollande… » Mais les conditions des pourparlers ne leur semblent pas égalitaires. Ils font notamment remarqué que les USA, bien que touchés les premiers par la crise, sont parvenus à se relever et atteignent 4% de croissance, quand la France peine. De plus, les Anglais faisant peser sur l’Europe un possible Brexit, l’élu Les Républicains s’interroge : « Les Américains seraient-ils alors capables de négocier un accord qu’avec le Royaume-Uni ? Qu’adviendrait-il si les USA ne signaient plus, nous tournerons-nous vers la Russie, ou la Chine ? » Autant de questions qui inquiètent Frédéric Pradal d’autant que les parlementaires semblent avoir un accès difficile aux documents constituant le traité. « Cela rend les choses opaques, car personne ne sait réellement ce que comporte TAFTA ! » Toutefois, « même s’il manque de transparence, ce traité est primordial pour nous ! » conclut Serban Iclanzan.
« B. Obama préfère discuter avec A. Merkel plutôt qu’avec F. Hollande »
Et des négociations, il s’en mène également du côté de Canal+. Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne, envisagerait sérieusement de la fermer par crainte de pertes s’élevant à plus de 400 millions d’euros. « Il fait ce qu’il veut, c’est lui le patron ! » s’exclame Frédéric Pradal. Pour ce dernier, il est logique qu’un chef d’entreprise qui perd de l’argent songe à liquider : « Il s’agit simplement d’une stratégie économique. » Il dénonce également la fâcheuse tendance qu’ont les Français à tirer à boulets rouges sur les patrons. « Peut-être faut-il s’interroger sur les raisons pour lesquelles Canal+ ne fait plus recette plutôt que s’en prendre à un chef d’entreprise qui cherche à limiter la casse ? » lance le directeur de la Gazette du Midi. Pour son voisin du jour, c’est une question de programmes car Canal+ n’est plus le seul sur le marché du cinéma et du sport, avec la concurrence de BeIN et Netflix notamment. De même, « Canal pratique le mélange des genres, fait entrer les politiques dans le show-biz et les artistes dans la politique. Aujourd’hui, cela ne fonctionne plus ! » commente Serban Iclanzan. Pour eux, des erreurs stratégiques que Canal+ paye aujourd’hui. À l’unanimité, la chaîne est devenue celle des bobos parisiens mais ne parle plus aux autres. « Ce qui faisait rire à une époque, ne fait plus sourire aujourd’hui, il faut passer à autre chose, et c’est sûrement ce qu’essaie de faire Vincent Bolloré ! » poursuit-il. C’est d’ailleurs ce que nous faisons, en engloutissant nos cafés, quand chacun repart pour ses obligations professionnelles, après avoir passé deux heures à échanger.
Mini-bios :
Serban Iclanzan : Aujourd’hui conseiller départemental d’opposition (Les Républicains), il confie avoir un parcours atypique. D’origine roumaine, il arrive en France pour y poursuivre des études de droit, puis intègre Sciences Po, avant de s’engager dans la Légion étrangère pendant cinq ans. Depuis 2011, il dirige l’hebdomadaire La Gazette du Midi.
Frédéric Pradel : Jeune économiste aveyronnais, il s’installe en 1989 et se spécialise dans la construction. Plusieurs agences ouvrent et le groupe Iffec, spécialisé en ingénierie du bâtiment, qu’il dirige aujourd’hui se développe. Il vient d’ailleurs de lancer la plateforme Bati Vigie qui vise à lutter contre le travail illégal dans le secteur du bâtiment, au travers de contrôles sur les chantiers.
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