ABRI. Depuis 2006, une ancienne gravière s’est muée en havre de paix pour les tortues. Jérome Maran y recueille les reptiles à carapace abandonnés par leurs propriétaires, ou saisis par les autorités. Plus qu’un refuge, il a créé un parc paysager, dédié à la biodiversité.
// Par Gabriel Haurillon
Une imposante bête à dents grogne et mord la terre au 2920, route de Paulhac. Jérome Maran arrête le tractopelle et extrait son physique de talonneur de la cabine. « On est en train de construire une nouvelle zone de quarantaine, la précédente est trop petite », lâche le maître des lieux. La semaine dernière, les services vétérinaires l’ont appelé pour le placement de 130 tortues saisies chez un seul particulier. Chaque nouveau pensionnaire doit passer un mois à l’écart des autres reptiles, le temps d’être vermifugé, pucé et de s’assurer qu’il n’est pas porteur de maladie.
Les 12 nouveaux enclos sont délimités par des glissières de sécurité : « Nous avons un partenariat avec un chantier de ferraille à Sesquières, Americafer, qui nous fournit une partie du matériel de construction. C’est ce qui nous permet de fonctionner sans subvention publique. » Seule la mairie de Bessières verse 1000 euros par an à l’Association refuge des tortues (ART), sur un budget annuel de 30 000 euros.
Au début de l’après-midi, sous un ciel couvert, Jérome Maran inspecte les bassins. L’herpétologue passe sous un portail de verdure, flanqué du logo de l’association. Devant lui, s’allonge l’allée centrale, bordée de part et d’autre d’enclos et de bassins. Chaque parcelle est aménagée comme un parc paysager, les mares arborent d’imposants roseaux dont le camaïeu de verts est ponctué par le rose des nénuphars en fleurs. De petites têtes émergent, çà et là, de l’eau trouble. « Comme il n’y a pas de soleil, elles se font discrètes », indique-t-il.
« Les tortues peintes s’adaptent très bien à nos milieux et entrent en concurrence avec nos trois espèces françaises. »
Les tortues peintes sont les plus nombreuses. C’est la famille originaire de Floride. Interdite à la vente en France depuis 1996, elle a été relâchée massivement dans la nature : « Elles s’adaptent très bien à nos milieux et entrent en concurrence avec nos trois espèces françaises. » Elles peuvent vivre jusqu’à 55 ans et grossissent très vite. L’ART les récupère donc pour réduire l’impact de ces reptiles exotiques sur les milieux naturels. 10 bassins et 14 enclos abritent une trentaine d’espèces aquatiques et terrestres.
« Attention, ça peut être dangereux ! », prévient Jérome Maran à proximité d’un bac de plastique bleu rempli d’eau. Le passionné se courbe, observe la surface avec méfiance : « Je cherche la tête. Une fois que je l’aurai repérée ce sera bon. » Soudain, il plonge ses deux bras dans l’eau jusqu’au biceps. Au terme d’une lutte de quelques secondes, la tortue alligator émerge à la surface dans un sifflement préhistorique. L’animal de 50 centimètres pour 20 kilos ouvre une gueule impressionnante : « Elle peut vous couper la main en une seule morsure. » En vente libre dans les années 1990, l’animal était devenu trop gros pour son propriétaire.
Le refuge est à 90% autosuffisant en nourriture pour les animaux terrestres. Une partie des 40 hectares du terrain est en friche et permet la récolte de laiteron, de pissenlits, de trèfles et d’autres herbes sauvages. « On complète avec des fruits du verger. On a planté des cerisiers, des abricotiers, des pêchers et 80 variétés de figuiers », explique Jérome Maran. Une tortue fonce à allure raisonnable sur la figue charnue déposée au sol devant la villa Hermann, du nom de cette espèce du Sud de la France. La maisonnette aux tuiles canal est équipée d’un solarium. Les reptiles viennent y dormir, une activité qui les occupe la moitié de l’année, pendant l’hibernation. Jérome Maran les enferme alors à clé pour éviter l’intrusion de l’ennemi public numéro un, le rat.
« Je vais avoir besoin de toi pour le pansement ! » lance plus loin Lia Santos, secrétaire de l’association, en direction de Jeanne. La stagiaire l’aide à maintenir une tortue de terre blessée sur une grande table ronde en pierre. Auxiliaire de vie de profession, Lia Santos est l’infirmière du parc : « J’ai appris en regardant ce que faisait le vétérinaire. Maintenant, j’arrive à tout soigner, sauf les blessures aux carapaces. » Celle qui vient tous les jours aider au refuge attend avec impatience que le bâtiment au fond du parc soit aménagé, pour y soigner les animaux.
Avec cette infirmerie et les nouvelles zones de quarantaine, Jérome Maran veut accomplir son dernier projet : ouvrir le parc au public. L’herpétologue déposera à l’automne une demande d’autorisation aux services préfectoraux pour une inauguration à la rentrée 2018 : « La recette des entrées permettra de pérenniser le refuge dans les années à venir. » L’association a lancé un appel au don sur Internet pour trouver les 30 000 euros nécessaires aux travaux.
Commentaires