Plaidoyer. Rassemblés le 15 février dernier devant le tribunal de Toulouse, magistrats, greffiers et avocats protestaient contre la réforme de la justice souhaitée par la ministre Nicole Belloubet. Entre numérisation, redécoupage de la carte judiciaire et spécialisation des tribunaux, ils dénoncent un éloignement du citoyen.
Nicole Belloubet est sur tous les fronts. Après la grogne des surveillants pénitentiaires, la garde de Sceaux doit aujourd’hui affronter celle des magistrats, des greffiers et des avocats suite au projet de loi pour rendre la justice plus performante. Il est question d’une transformation numérique, présentée comme le « cœur du réacteur » de la réforme, d’une simplification de certaines procédures et d’une réorganisation territoriale de la justice. Autant de points qui ont suscité des craintes chez de nombreux professionnels, comme l’explique Érik Boyadjian, le vice-bâtonnier du barreau de Toulouse : « Ce que nous dénonçons, sous prétexte d’une numérisation censée rapprocher le justiciable, c’est au contraire un éloignement. Tous ne sont pas égaux face au numérique et tous n’y ont pas accès. De plus, avec cette réforme, le justiciable ne sera pas toujours accompagné. » Il est en effet envisagé des procédures entièrement numérisées pour des contentieux inférieurs à 5 000 euros. « On parle aussi de spécialiser les tribunaux. Mais en faisant cela, on n’aura qu’un ou deux tribunaux compétents sur une matière et donc une uniformisation de la jurisprudence, ce qui entraîne un déni de démocratie », poursuit Érik Boyadjian.
La question des moyens est mise en avant par les opposants à la réforme. Avec le 23e budget en pourcentage du PIB sur les 28 pays de l’Union européenne, la justice française est souvent présentée comme un parent pauvre en Europe. Pour Gilles Sainati, secrétaire national du Syndicat de la magistrature et premier vice-président du tribunal de grande instance de Perpignan, « c’est aussi un problème de représentation. Vouloir établir un tribunal par département et une cour d’appel par région, ce n’est pas possible. Cela fera certes des économies, mais l’objectif est l’accès universel à la justice. » Le magistrat souhaite des tribunaux pensés en fonction des bassins de population plutôt qu’une centralisation.
Au contraire, Laurent Posocco, maître de conférences en droit privé à l’Université Toulouse 1 Capitole, trouve que cette réforme va dans le bon sens : « La simplification des procédures est intéressante et la spécialisation des tribunaux est au bénéfice du justiciable, avec une meilleure connaissance de la matière chez les avocats et les magistrats », avance-t-il. S’il comprend les critiques liées à la qualité des équipements informatiques et à la fracture numérique, cela ne doit pas, selon lui, remettre en cause la philosophie du projet de loi. « 500 millions d’euros ont été annoncés pour la numérisation, ce qui peut permettre pas mal de choses. J’ai parfois l’impression qu’il y a une crainte à l’idée de toute réforme, après la brutalité de celle de Rachida Dati en 2007. » Les effets de cette dernière, Gilles Sainati les observe tous les jours et redoute que la prochaine soit trop vite instituée : « En réformant la justice en seulement trois mois, on va vers une catastrophe », conclut-il.
Paul Périé
La rédaction
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