Retrait. En matière de social, il y a les paroles et les actes… Or, du côté de Bagatelle les travailleurs sociaux sont inquiets. On vous explique pourquoi.
Par Julien Davenne
Le droit de retrait est une mesure légale que peut exercer tout travailleur quand il pense que sa vie ou sa santé sont en péril. Le droit de retrait est par exemple utilisé quand un chauffeur de bus est agressé ou quand un professeur est menacé ou frappé par un parent, normal. Quand un prof est agressé, les syndicats s’indignent, le FN salive et Jean Pierre Pernaut nostalgise sur la douce France perdue, normal. Jacques Gasztowtt n’a pas exercé son droit de retrait. La lame qui lui a tranché la carotide ne lui en a pas laissé le temps, alors il est mort, Jean Pierre Pernaut s’en fout, la France s’en fout, même le FN s’en fout. Jacques Gasztowtt faisait son métier d’éducateur spécialisé, en l’occurrence, il appliquait une ordonnance lui demandant de mettre en lien une petite fille de quatre ans avec son père, mais le père était armé et il a tranché la carotide de Jacques, pas normal. Pas normal, mais banal. L’agressivité des usagers, les travailleurs sociaux la vivent au quotidien. Ils y sont préparés, mais la plus brillante des théories ne suffit pas à détourner la lame d’un couteau. C’est que la théorie à ceci de commun avec la politique d’être édictée par de beaux esprits bien éloignés du terrain et d’un quotidien fait de violence et de misère. Les travailleurs sociaux sont habitués à aller au casse pipe. Ils sont fourbus à cet exercice paradoxal qui consiste à réparer sous injonction du politique les dégâts engendrés par les orientations de ce même politique. Alors, au fil des ans, des renoncements et des restrictions, ils tentent de bricoler de l’avenir avec des outils dépassés. C’est à Nantes que Jacques Gasztowtt a trouvé la mort, mais le drame aurait pu se dérouler ailleurs, à Toulouse par exemple. C’est la crainte des travailleurs sociaux de la Maison des Solidarités de Bagatelle. Alors, le 3 Avril, ils ont exercé leur droit de retrait. Pas de lame sortie, pas de menace de mort, pas encore. Pourtant, le sentiment diffus que le couvercle est en train de sauter n’est pas une vue de l’esprit, mais une crainte qu’ils estiment fondée. Quand l’accumulation des incivilités, l’impossibilité de trouver des solutions au placement des jeunes en situation d’urgence et la saturation s’additionnent, ne reste plus que la frustration partagée des usagers et des travailleurs sociaux. Alors, pour alerter et pour se protéger, ils ont exercé leur droit de retrait…
Bagatelle, c’est un beau quartier. Le GPV, la politique de la ville et AZF lui ont redonné un peu de fraîcheur. Comme souvent, les angéliques de gauche ont multiplié les équipements tandis que les sourcilleux de droite ont décuplé les caméras. Les uns comme les autres s’étonnent alors que perdurent les problèmes. Avec presque 200 situations d’urgences, des absences non remplacées au sein de l’équipe, un effectif insuffisant, l’équipe ne se sent plus en capacité d’apporter des réponses à la lente dégradation qu’ils constatent. Leur demande d’enquête du Comité d’Hygiène et Sécurité au travail est pour l’heure restée sans réponse. Le courrier qu’ils ont adressé à Georges Méric sera sans doute l’un des premiers reçu par le nouveau président du conseil départemental. Ne leur reste plus qu’à espérer que l’ancien médecin saura bien diagnostiquer les causes de la fièvre qui monte.
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