DÉRAILLEMENT. Jean-Cyril Spinetta vient de remettre au gouvernement son rapport sur l’avenir du ferroviaire, dans le cadre notamment de l’ouverture du secteur à la concurrence voulue par l’Europe. L’ancien patron d’Air FranceKLM avance 43 recommandations dont une fait polémique : la fin du statut de cheminot pour les nouveaux embauchés, qui conduirait à terme à sa disparition au gré des départs en retraite. Tous deux économistes spécialisés dans la question des transports, Patrice Salini et Marc Ivaldi abordent pour le JT ce sujet sensible et objet de nombreux fantasmes.
© Franck AlixPatrice Salini : Quand on regarde les problèmes de la SNCF aujourd’hui, je n’ai pas l’impression que cette question soit prioritaire, même s’il faudra sans doute en discuter un jour. Certains éléments relèvent de la nature même du métier, comme c’est le cas pour les personnels hospitaliers de nuit par exemple. Le gouvernement souhaite privilégier les accords d’entreprises plutôt que les conventions collectives au motif que chaque société est différente. Pourquoi s’offusque-t-on alors du particularisme des cheminots ?
Marc Ivaldi : Ce statut est une source de coûts supplémentaire si l’on compare à la Deutsche Bahn allemande – ce qui n’exclut pas des salaires plus élevés là-bas. Il est aussi un poison pour les agents, car il limite les rémunérations en raison d’avantages sociaux par ailleurs. Toutefois, il ne faut pas nier certaines réalités : la pénibilité, la notion de service public en continu, ou encore le fait que la possibilité théorique de partir en retraite plus tôt se fait au détriment du niveau des pensions. Mais le métier évolue. Les aiguillages s’informatisent, on achète de moins en moins de billets au guichet… Le statut devrait disparaître de lui-même, par obsolescence.
Patrice Salini : Depuis la création de la nouvelle SNCF en 1984, on connaît un problème structurel d’équilibre financier et d’explosion de la dette. L’État a sa responsabilité, l’entreprise aussi, car les coûts ont été sous-estimés et les recettes surestimées. Où sont la politique des transports et la véritable stratégie de l’entreprise dans le rapport de Jean-Cyril Spinetta ? Il est urgent de réfléchir à de nouveaux moyens de financement et à la manière de compenser les services et lignes en déficit mais relevant du service public.
Marc Ivaldi : La SNCF n’est actuellement pas compétitive en vue d’une ouverture à la concurrence. Sur les réseaux régionaux, il en coûte 22€ en moyenne pour faire rouler un train sur un kilomètre. Si l’on compare toujours avec l’Allemagne, ce coût y est de 10€. La SNCF suit aujourd’hui le chemin d’autres entreprises publiques, comme EDF ou La Poste qui sont allées vers plus de libéralisme. L’autre débat sera celui des tarifs. Les Français paient moins de 40 % du coût réel de leur trajet, le reste étant supporté par les pouvoirs publics.
Patrice Salini : Au vu des sommes en jeu, il n’est pas aberrant de commander plusieurs études contradictoires pour être certain de trouver la meilleure solution dans chaque projet – aussi bien le développement du réseau que la transformation de l’entreprise. Concernant le statut, il est possible d’ouvrir de nouvelles négociations collectives. Mais à quel niveau les personnels et leurs représentants placeront-ils le curseur des conditions sociales, si ce n’est à celui actuel ?
Marc Ivaldi : Une nouvelle convention collective a été négociée pendant deux ans, mais a été jetée aux oubliettes en raison du mouvement social avant l’Euro de football de 2016. Il faut pourtant prendre en compte la réalité du rail moderne et la nécessité d’adapter les métiers. Aujourd’hui, un employé qui entre à la SNCF avant l’âge de 30 ans a le droit de choisir entre le statut d’agent et un contrat classique. Pourquoi cette limite d’âge ? Si l’option est laissée à tous, les personnels devraient se tourner vers le CDI, les conditions salariales étant plus avantageuses.
Marc Ivaldi
Économiste notamment spécialisé dans la question des transports, enseignant à Toulouse School of Economics, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et directeur de recherche à l’Institut d’économie industrielle.Patrice Salini
Économiste des transports et professeur des universités, ancien directeur de cabinet du secrétaire d’État aux Transports, ex-membre du Conseil national des transports et ex-directeur de l’Observatoire économique et statistique des transports.
Commentaires