Utilité. En milieu rural ou urbain, selon les différentes classes sociales ou même les parcours de vie, l’isolement est appréhendé de manière différente. Le sociologue Sylvain Bordiec en explique les mécanismes, l’évolution et tente d’y trouver des solutions pour le rompre.
«Avant d’être physique, l’isolement est relationnel, il s’agit d’abord d’un ressenti individuel. Celui-ci peut changer en fonction des sphères dans lesquelles les personnes concernées évoluent», explique Sylvain Bordiec, sociologue de la socialisation, maître de conférences à l’université de Bordeaux. Toutefois, l’isolement existe bel et bien et résulte souvent de difficultés réelles comme l’échec scolaire, les problèmes familiaux ou au travail, les accidents, les maladies… «D’où l’importance de considérer l’individu dans sa globalité car un événement ne peut pas, à luiseul, tout expliquer. Certaines personnes sont plus enclines à s’isoler que d’autres face à une même situation», commente Sylvain Bordiec.
Pour lui, il est la traduction d’un sentiment d’inutilité sociale qui peut prendre plusieurs années à s’installer, insidieusement. Ces personnes ont, malgré elles, une fonction sociale. «Elles incarnent ce à quoi personne ne souhaite ressembler, elles permettent aux autres de relativiser leur propre condition», rappelle le sociologue.
Cette notion d’isolement est présente dans les esprits depuis la canicule de 2003, qui a provoqué une prise de conscience collective quant à la solitude des personnes âgées, mais pour le sociologue, «ce n’est pas parce qu’on en parle plus que le phénomène est croissant». Ce qui est certain en revanche, c’est la perte de terrain du collectif au profit de l’individualisme. «Nous nous pensons de manière isolée. Le sentiment de solitude est d’autant plus prégnant que la société s’individualise», observe le sociologue. Les normes sociales posent l’isolement comme un état déviant. «Dans le discours public, la solitude inquiète. Les habitants des quartiers populaires ne semblent pas y avoir droit sans qu’il soit source de suspicion pour la société », constate Sylvain Bordiec. Mais si l’isolement est un problème, il peut aussi être vu comme un atout : «Pour les classes sociales supérieures, être capable de rester seul est un gage d’autonomie.» Des études tendraient d’ailleurs à prouver que les élèves sachant travailler seuls, réussissent mieux que les autres.
Pour rompre avec cet isolement, les pouvoirs publics ont mis en place un dispositif national nommé Monalisa (programme de soutien et sensibilisation au bénévolat de proximité), mais qui ne prend en compte que la solitude des personnes âgées. Mais quid des autres ? «Les baby-boomers arrivent à l’âge de la retraite, il s’agit donc d’un problème que les pouvoirs publics se doivent de traiter. Mais effectivement, les autres ne bénéficient pas d’un programme explicite», constate Sylvain Bordiec.
Alors, l’aide peut être mise en place de manière indirecte comme il le rappelle : «De nombreuses associations qui luttent contre d’autres problèmes sociétaux, mettent forcément les gens en lien. Les plus efficaces étant celles qui proposent à leurs bénéficiaires d’être acteurs. Ainsi, ils se sentent utiles.» Une solution qui permet un retour vers le monde. Il n’oublie pas non plus le rôle prépondérant des politiques publiques : «Lutter contre l’isolement est un enjeu transversal. Il faut que l’État s’emploie à ce que personne ne soit mis hors du jeu social, qu’il s’agisse d’éducation, d’insertion professionnelle, ou autre. Tout a un lien», conclut-il.
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