À TABLE ! – Selon la sociologue Anne Dupuy, la population se montre plutôt curieuse pour consommer de nouveaux aliments comme les algues ou les insectes. Mais des freins restent à lever pour les faire entrer dans nos habitudes alimentaires.
Salade croquante de criquets, tartare de steak in vitro et tapenade de spiruline feront-ils bientôt partie de notre routine alimentaire ? Pas dans l’immédiat, si l’on en croit la sociologue Anne Dupuy tant les habitudes alimentaires ne changent pas d’un coup de baguette magique.
Pour repérer les bons aliments des mauvais, l’être humain, dans son évolution, n’a pas pu se baser sur son seul instinct pour « éviter les toxiques. » Il a donc construit «un processus complexe d’expérimentation et d’observation élaboré et transmis au cours de l’histoire des populations», indique la chercheuse dans ses travaux. Système de transmission qui diffère selon les milieux sociaux et les cultures.
Anne Dupuy, étudie actuellement la manière dont les consommateurs français accueillent les insectes et les algues. Avec l’aide de ses étudiants, elle a analysé la représentation que s’en font différents groupes (enfants, adultes aux profils variés, restaurateurs…). « Ces aliments suscitent la curiosité. Le discours sur la durabilité et sur les enjeux climatiques qu’ils soulèvent est également bien compris et assimilé. Mais ils sont encore loin d’entrer dans les routines alimentaires».
Pour les insectes, les réactions oscillent entre dégoût et attirance. L’aversion n’est cependant pas systématique selon les groupes. «Consommer des insectes ne pose aucun souci aux enfants, c’est après que cela devient problématique», explique la chercheuse. La répulsion est notamment dû à ce que les anthropologues appellent le principe d’incorporation. Principe d’après lequel « l’homme devient ce qu’il mange ». Quand le mets a une mauvaise image, il suscite du rejet. «Même si les procédés sanitaires des producteurs qui commercialisent des insectes sont extrêmement contrôlés, ils se heurtent à la crainte, dans nos cultures occidentales, de consommer des insectes nécrophages», confirme Anne Dupuy. «Cela vient du fait que nous enterrons nos morts. Ils peuvent évoquer la vermine, la souillure. »L’acceptation passerait donc à la fois par faire entrer l’aliment «dans la catégorie du fun, en remplaçant par exemple les cacahuètes par des grillons au moment de l’apéritif », mais aussi « par des stratégies de masquage et d’invisibilisation. » C’est-à-dire, moudre les vers et les insectes en farine.
Autre frein à lever : la difficulté à classer ces “nouveaux” aliments. «Nos expériences montrent que les consommateurs ont du mal à catégoriser les insectes et les algues.» Doivent-ils les considérer comme de la viande, des légumes… ? Une perte de repère qui se traduit par exemple par une complexité à s’approprier l’aliment notamment pour « évaluer les quantités nécessaires afin de remplacer les protéines animales.»
Mais selon Anne Dupuy, le modèle français est de plus en plus prêt à accueillir la différence. « En France, on défend la commensalité, c’est-à-dire, le fait de manger ensemble autour d’une même table. Mais cela n’empêche pas un mouvement d’individualisation de ce que nous consommons. D’après Claude Fischler, les Français vont vers une meilleure compréhension des particularismes alimentaires (régimes, intolérances, allergies… ndlr) ». Un terreau fertile, selon elle, à l’arrivée d’aliments inattendus.
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