Méfiance. Suite à l’énorme scandale provoqué par l’affaire Dentexia, les regards se tournent vers les autres acteurs low cost du secteur dentaire et notamment Dentifree, présente depuis peu à Labège. Si la marque assure ne pas avoir les mêmes pratiques, plusieurs professionnels du monde libéral émettent de sérieux doutes quant à ses réelles intentions.
Ils sont apparus au tournant des années 2010 tels des bienfaiteurs. Dans un contexte de débat sur le coût de la santé et les dépassements d’honoraires, une vague de centres dentaires low cost a déferlé en France, promettant de « redonner le sourire » aux 35% de personnes renonçant aux soins dentaires faute de moyen. Seulement voilà, la liquidation judiciaire prononcée le 4 mars dernier par le Tribunal de Grande Instance d’Aix-en-Provence à l’encontre de la chaîne de centres Dentexia vient semer le doute sur l’ensemble de ces nouveaux acteurs. L’action lancée par des centaines de patients mécontents regroupés au sein du « Collectif Contre Dentexia » aura donc abouti au démantèlement du « système » mis en place par Pascal Steichen, homme d’affaires à l’origine du scandale. « Comme tous les autres centres, Dentexia avait le statut d’association loi 1901 alors que le but était clairement de faire le plus de chiffre possible avec des objectifs précis pour chaque praticien en termes d’implants et de prothèses, les actes les plus rémunérateurs. Un système de sociétés commerciales satellites avait été mis en place. On proposait aux patients des solutions de financement et un paiement avant travaux ce qui est totalement interdit », avance Patrick Solera, praticien toulousain et Président de la Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux, à la pointe du combat contre les centres dentaires low cost.
« Leur céramique vient notamment d’Indonésie. Il suffit de la passer au four pour dire que la prothèse est fabriquée en France »
Depuis l’installation en septembre dernier à Labège de Dentifree, l’agglomération toulousaine a elle aussi son centre dentaire. La chaîne basée à Versailles et fondée par Nicolas Thibert, ancien industriel dans un laboratoire dentaire, a inauguré son premier centre dans la région lilloise en 2013 et ouvrira bientôt son 10e à Avignon. Si le fondateur assumait au début l’étiquette low cost dans les médias, le discours a changé depuis. « On ne retient pas le terme low cost car cela laisse entendre que la qualité est moindre. Or ce n’est pas le cas. Que ce soit en termes d’hygiène et de matériaux utilisés tout est impeccable, la qualité est la même qu’ailleurs », assure Eric Goettmann, chargé d’information chez Dentifree qui se félicite par ailleurs de la liquidation de Dentexia tout en précisant que « les abus existent partout ». Pour lui la situation est claire, rien de ce qui est reproché à Dentexia n’existe chez Dentifree : pas d’avance de frais excepté un acompte en cas de commande d’une prothèse, pas de sélections d’actes ni de clients – « 60% des actes au niveau national sont des actes courants » – pas de commerciaux ni de crédits et même… pas de bénéfices. « En trois ans d’existence, il n’y a pas encore de profits dégagés, mais on espère pour cette année », plaisante le chargé d’information. Alors comment Dentifree arrive à proposer des prix en moyenne 40% moins chers qu’ailleurs ? Rien de plus simple, la mutualisation. « Les consommables sont achetés en gros, le secrétariat et la comptabilité sont centralisés à Versailles. Dans les centres, il n’y a que des praticiens et des assistantes, tous salariés, ce qui réduit le nombre de rendez-vous et le temps passé hors-soin », détaille Eric Goettmann.
Rien à signaler pour l’instant pour l’ARS
Du côté de l’Agence Régionale de Santé, qui a autorisé l’installation de Dentifree, rien à signaler tant qu’il n’y a pas de plainte tandis que le Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens Dentistes de Haute-Garonne, en pleine période électorale, préfère ne pas s’exprimer sur le sujet. Patrick Solera, lui, est plus dubitatif, notamment sur l’origine des matériaux utilisés, en l’occurrence la France pour les prothèses via le laboratoire bordelais Socalab et l’Allemagne pour les implants : « Socalab travaille avec tous les low cost. Leur céramique vient notamment d’Indonésie, mais il suffit de la passer au four pour dire que la prothèse est fabriquée en France. Quant aux implants, ils sont achetés entre 40 et 50 euros en Allemagne alors que pour une marque premium, les prix sont plutôt dans une fourchette entre 280 et 400 euros ». Le président de la FSDL a également recueilli le témoignage accompagné d’une lettre de démission envoyée à Nicolas Thibert d’un ancien praticien de Dentifree datée de novembre 2014. Il y dénonce notamment les pressions financières et le manque de matériel. En tout cas si certains professionnels du secteur estiment que l’affaire Dentexia aura permis de revenir à des pratiques saines et fait en sorte que les centres dentaires jouent effectivement un rôle social auprès des plus démunis, Patrick Soléra n’en démord pas. « Ce sont tous les mêmes, le centre de Labège est encore trop récent, il faut environ 1 an pour que les langues se délient », prédit-il. À suivre donc d’autant que Dentalvie, autre marque de centre dentaire à bas prix, déjà présente dans l’Aude et l’Hérault, chercherait encore à s’implanter à Toulouse après un premier refus de l’Ordre.
L’avis du Dr Philippe Jourdan, chirurgien-dentiste à Balma
« Ces centres ont vu le jour grâce à la loi Bachelot sur l’accès aux soins, destinée à l’origine aux zones sous-dotées en praticiens. Il ne semble pas que Toulouse soit un désert médical. Des financiers ont détourné le but initial de la loi, mais les centres comme Dentifree sont dans un cadre légal puisqu’ils ont l’autorisation des ARS. Pour moi c’est l’organisation des soins en France qui a permis cette situation. Il y a un trop grand déséquilibre entre les actes courants et les actes plus rémunérateurs. De plus, s’il y avait un meilleur suivi, les patients n’auraient pas besoin de couronnes ou d’implants, actes que semblent privilégier ces centres et qui ne devraient arriver qu’en dernier recours. »
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