Vices cachés. Depuis le 1er janvier 2016, la mutuelle d’entreprise est obligatoire. Si la loi visait à donner accès à une complémentaire santé pour tous, il semblerait que certaines clauses ternissent le tableau idyllique. Des cas de doubles cotisations des salariés notamment risquent de se multiplier dans le courant de l’année et dans les années suivantes. Explications.
Ce qui devait être un progrès social pourrait se transformer en mécontentement populaire. Les mutuelles d’entreprise étant devenues obligatoires, certains salariés se réjouissent de bénéficier d’une participation à hauteur d’au moins 50% de leur employeur sur leurs cotisations, mais d’autres déplorent la suppression du libre choix de chacun pour sa complémentaire santé. En effet, « ce qui est obligatoire c’est la proposition par l’employeur d’une couverture santé pour tous ses salariés, et le choix de l’assurance lui revient entièrement », explique le chargé de clientèle toulousain d’un grand groupe d’assurance que nous appellerons Pascal*. Ainsi, l’employé doit se soumettre au choix de son chef d’entreprise concernant la mutuelle, mais aussi le contrat : « l’employeur est également le seul à décider du type de contrat souscrit (isolé/couple/famille) », ajoute-t-il, « et souvent ils optent pour celui qui leur coûtera le moins cher et qui ne sera donc pas forcément le plus avantageux pour le salarié. » Ce que confirme Agnès Emonet, courtier en protection sociale du cabinet toulousain Sic Patrimoine : « les entreprises se contentent généralement du panier de soin qui rembourse 100% du ticket modérateur, autrement dit le minimum légal. S’ils veulent avoir accès à une bonne couverture, les salariés seront donc forcés de payer de leur poche pour augmenter les prestations, pour une mutuelle qu’ils n’ont pas choisie je le rappelle, ou de souscrire à une complémentaire supplémentaire à titre privé. » Pour ces deux professionnels de l’assurance santé, il s’agit donc d’une contrainte non négligeable que les salariés seraient prêts à accepter, « même si ce dispositif ne leur convient pas parfaitement, ils sont conscients que c’est désormais la loi et se font une raison », constate Agnès Emonet. Mais les résignations pourraient ne pas durer selon Pascal, qui même s’il doit commercialiser des contrats d’assurance santé, y trouvent des aberrations, notamment un problème de doubles cotisations.
Doubles cotisations : une bombe à retardement
Ce sujet n’a pas encore été évoqué pourtant, il pourrait dans quelque temps poser problème à bon nombre de salariés. Tout employé est aujourd’hui dans l’obligation d’adhérer à la mutuelle choisie par son chef d’entreprise, ce qui ne pose aucun souci pour les cotisants isolés. En revanche, pour les couples ou familles souhaitant être pris en charge sur un même contrat, les choses vont se compliquer au fil du temps, car « même si les deux membres du couple bénéficient de remboursements de la mutuelle de l’entreprise du premier parce qu’elle présentera de meilleures prestations, l’autre membre du couple devra quand même cotiser pour la mutuelle de sa propre entreprise. Ainsi, le couple cotise deux fois pour n’être remboursé que par une seule assurance », explique Pascal. Seules des dérogations très précises (voir encadré) peuvent épargner au salarié cette double cotisation. Il faudra d’ailleurs justifier des dispenses tous les ans par des documents officiels, sous peine de redressement Urssaf. Sur ce point, Frédéric Malfilatre, responsable commercial Sud-Ouest à Harmonie mutuelle, annonce qu’un décret vient d’être publié, « visant à assouplir le dispositif. Il pourra n’être demandé qu’une attestation sur l’honneur. Ainsi, l’Urssaf souhaite décomplexifier cette double cotisation. »
« Un dispositif qui remet en cause le principe de solidarité et de la liberté de choix ! »
Au regard de ces cas d’exclusion, les salariés étant en poste avant la signature du contrat cadre de leur entreprise pourront choisir entre leur mutuelle ou celle de leur conjoint, ce qui pour l’instant reste la majorité des cas. «Mais dans quelques mois, quand les contrats individuels actuels auront pris fin, quand certains changeront de travail ou que d’autres intègreront leur premier emploi, le problème se posera », commente Pascal. De même, une clause prévoit une possible exclusion quand le salarié est « déjà couvert en tant qu’ayant droit par un contrat à adhésion obligatoire pour les ayants droit », seulement ces contrats sont extrêmement rares. La solution reste alors que chacun cotise en isolé dans son entreprise, « même s’il est vrai qu’un contrat famille s’avère le plus avantageux pour le salarié », reconnaît Frédéric Malfilatre, « mais au moins, il n’y aura plus cette double cotisation et toutes donneront lieu à un remboursement. » Car cette anomalie juridique permet aux assurances et mutuelles de percevoir des cotisations sans jamais avoir à effectuer de prestations : « Si monsieur cotise à la mutuelle A de son entreprise et positionne sa famille en ayant-droits, Madame (si elle n’entre pas dans les critères de dispense) devra tout de même cotiser dans la mutuelle B de sa structure. Alors la mutuelle A effectuera les remboursements quand la B se contentera d’encaisser les cotisations. C’est du bénéfice net ! » confie Pascal.
Les mutuelles et assurances y gagnent-elles ?
Il convient toutefois de nuancer quelque peu la situation, car « au final, les taux uniques ‘’famille’’ ne représenteront que 20% des contrats, quand les salariés opteront majoritairement pour des contrats ‘’isolé’’ », précise Frédéric Malfilatre, auquel Pascal répond : « évidemment, ils n’auront pas le choix s’ils ne veulent pas cotiser deux fois ! » De même, si la mutuelle A couvre toute une famille, mais que l’un des membres du couple cotise également en isolé dans la B, il pourra transmettre ses feuilles de soins aux deux mutuelles, notamment pour les forfaits (optiques, hospitalisations, dentaires…), mais attention : « les prestations seront assurées à concurrence des deux contrats » avertis Agnès Emonet. Autrement dit, si une famille est couverte à 100% par la mutuelle A et à 150% par la B, l’assuré pourra faire passer 100% des remboursements à la mutuelle A et la B prendra en charge les 50% de différence. C’est justement sur cette possibilité qu’appuient les commerciaux en assurance comme Frédéric Malfilatre : « lorsque nous intervenons en entreprise pour expliquer le dispositif aux salariés, nous mettons ce point en avant, car bien sûr nous devons valoriser l’Accord national interprofessionnel (ANI). » Lui estime que le dispositif est alors avantageux pour les salariés, de même « qu’une couverture collective reste toujours plus intéressante qu’une individuelle. La prise en charge de la moitié des cotisations par l’employeur augmente également le pouvoir d’achat des ménages. »
« Nous avons explosé nos chiffres »
Du côté des assurances, les avis sont partagés. « Nous avons explosé nos chiffres » avoue Pascal, « en 10 ans de carrière, c’est ma meilleure année ! » Effectivement, la mise en place de la mutuelle d’entreprise obligatoire est du pain béni pour les groupes proposant de la protection sociale. C’est d’ailleurs ce qui met la puce à l’oreille des associations de défense des consommateurs : le lobby des assurances et mutuelles se seraient-ils activés pour que les aberrations soulevées ici soient conservées ? C’est la position de Pascal, mais elle n’est pas partagée par tous les professionnels. « S’il est vrai que le système est pervers, les mutuelles n’y gagnent pas vraiment, car elles perdent de gros contrats notamment dans des entreprises employant beaucoup de cadres », explique Agnès Emonet. Le président de Mutami et représentant local de Mutuelles de France, Patrick Julou, parle même de « marges faibles, car nous ne parvenons plus à solidariser le risque ! Avec des contrats basiques, nous récupérons seulement une marge technique. » De plus, « les contrats-cadres n’ont pas été négociés entre le gouvernement et les assurances, mais avec les partenaires sociaux. Les fédérations de mutuelles étaient même plutôt contre », se défend-il, « la mutuelle pour tous, oui, mais pas avec ce dispositif ! » poursuit-il. Il note les 4 milliards d’euros qu’aura coûtés la mise en œuvre de l’ANI face aux 400 000 personnes supplémentaires qui en bénéficieront, « c’est quand même cher pour un dispositif qui n’est pas performant et qui remet en cause le principe de solidarité et de la liberté de choix ! » Mais à la quasi-unanimité, tous s’accordent à dire que le grand perdant est l’adhérent.
*Le prénom a été changé
Encadré :
Dérogation permettant de se dispenser d’une double cotisation
– embauchés avant la mise en place d’un tel dispositif pour la 1re fois dans l’entreprise ;
– déjà couverts à titre individuel, jusqu’à l’échéance de leur contrat ;
– déjà couverts en tant qu’ayant droit par un contrat à adhésion obligatoire pour les ayants droit ;
– bénéficiaires de la CMU ou de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS), jusqu’à l’échéance de leurs droits ;
– en contrat à durée déterminée et apprentis. Avec obligation de justifier d’une couverture individuelle si la durée du contrat est au moins égale à douze mois ;
– à temps partiel et apprentis dont l’adhésion au système de garanties les conduirait à s’acquitter d’une cotisation au moins égale à 10 % de leur rémunération brute ;
– à employeurs multiples, affiliés à un autre contrat obligatoire au titre d’un autre emploi ;
– en couple travaillant au sein de la même entreprise (qui peuvent s’affilier ensemble ou séparément) ;
– bénéficiant du régime d’assurance maladie du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle;
– bénéficiant du régime de prévoyance de la Fonction publique d’État issu du décret n°2007-1373 ;
– bénéficiant du régime de prévoyance de la Fonction publique territoriale issu du décret n°2011-1474 ;
– bénéficiant du régime complémentaire d’assurance maladie des industries électriques et gazières ;
– bénéficiant d’un contrat groupe “Madelin” issu de la loi 94-126 du 11 février 1994.
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