Soupçons. Suite à un signalement déposé par le groupe d’opposition « Osons Midi-Pyrénées », le parquet de Toulouse met les bouchées doubles pour faire éclater la vérité quant aux relations entre le Conseil régional et la société AWF.
Percé à jour par le « Canard Enchaîné », les rumeurs qui circulaient dans les couloirs du Conseil régional prennent désormais l’allure d’accusations en règle. Le 8 septembre dernier, Osons Midi-Pyrénées donnait un coup de pied dans la fourmilière du boulevard maréchal Juin. En cause ? Des marchés publics accordés à la société AWF gérée par un membre de la famille de Kader Arif, actuel secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, jugés opaques par certains élus. La fréquence des relations entre cette entreprise et la Région aurait mis la puce à l’oreille de quelques conseillers, notamment Vincent Terrail-Novès dans l’opposition qui fait le compte de 242 factures sur quatre ans, soit une par semaine, pour un montant total de 2 millions d’euros. Parmi ces documents, certains ne détailleraient pas les interventions acquittées « à cause d’un système d’affacturage », ce qui perturbe les élus d’opposition : « Il est alors impossible de vérifier les prestations ! » Pour Martin Malvy, c’en est trop. Le président de région s’estime choqué par « cette campagne de dénigrement fondée sur des documents dont j’avais personnellement donné l’instruction qu’ils soient communiqués à des élus de l’opposition régionale par soucis de transparence.»
“Beaucoup d’entreprises pourraient répondre à ce genre d’appel d’offres mais on sait d’avance qu’on va être évincé”
Un premier marché public aurait été attribué à AWF en 2008, pour deux ans, plafonné à 179 400€. « Cette somme ayant été atteinte en un an, un nouvel appel d’offres sur quatre ans a été engagé en 2009. Ce dernier, à bons de commande, a été budgétisé pour 340 000€ mais c’est finalement 1,7 millions d’euros qui ont été réglés à AWF, soit une augmentation de 509% du budget primitif » affirme Vincent Terrail-Novès. Ce qui ne manque pas d’interpeller Gérard Onesta, conseiller régional EELV. Lui, estime Martin Malvy « intègre » et ne croit pas à une mise en cause directe, « mais comment une telle différence est-elle possible ? » Et surtout, comment ne pas s’en être aperçu avant ? « La Chambre régionale des Comptes n’effectue un contrôle que tous les six ans. Le dernier a eu lieu en 2009, le prochain sera en 2015 ! » explique Elisabeth Pouchelon du groupe Osons Midi-Pyrénées. Elle ajoute : « Ces frais font partie du budget annexe, il est donc difficile d’en contrôler les moindres lignes pour un groupe d’opposition ! » Et pour cause, Osons Midi-Pyrénées confesse que son attention y a été portée grâce à l’alerte donnée par des entreprises évoluant dans le même secteur qu’AWF, mais qui se sentent lésées. A ce propos, le gérant d’une société toulousaine, leader sur le marché, explique : « Beaucoup d’entreprises pourraient répondre à ce genre d’appel d’offres mais on sait d’avance qu’on va être évincé. Il y a clairement une situation de juge et partie au Conseil régional et rien à voir avec le ministre, il a d’autres chats à fouetter. » Le problème ?Des appels d’offres « ciblés » : « On reconnaît tout de suite quand ce sont des marchés pour AWF ! Or un appel d’offre c’est beaucoup de temps, alors on choisit de ne pas le perdre, on n’y répond plus. »
En 2013, une nouvelle consultation est lancée sur quatre ans. « Le budget y était fixé à 2,8 millions d’euros cette fois », affirme Vincent Terrail-Novès. Deux entreprises ont candidaté, à savoir AWF et All Access. Problème soulevé par l’élu d’opposition, « les deux sociétés ont les mêmes sociétaires, c’est-à-dire la famille Arif, et le même gérant ! » AWF aurait-il alors organisé sa propre concurrence pour fausser la donne ? Gérard Onesta s’est posé cette question et a semble-t-il trouvé la réponse : « Le droit européen mentionne qu’il est obligatoire de considérer valable un dépôt d’offre même s’il est organisé par les mêmes personnes, sous un nom de société différent. Il s’agit là d’une faille béante du système ! » Toujours est-il que les deux candidats ont été déboutés par Joël Neyen, directeur général des services, pour insuffisance de concurrence. Pourtant, lors de la deuxième session du même appel d’offre, seule l’entreprise AWF se présente et remporte le marché. Un ancien prestataire du Conseil régional a son avis sur le sujet : « On fait le lien entre Aïssa Arif, gérant de AWF et Kader Arif, mais entre les deux il y a surtout Ali Arif, le troisième frère, salarié du Conseil régional. J’ai travaillé pour le Conseil régional de manière régulière jusqu’en 2007 et du jour au lendemain on a fait connaissance avec Ali : il est très colérique. En deux prestations, il nous a mis dehors. » Ali Arif est en effet chargé de la communication institutionnelle et opérationnelle depuis 2006, boulevard Maréchal Juin. Si ses collaborateurs semblent satisfaits de son travail, une réputation sulfureuse le suit néanmoins. Son côté « grande gueule » lui a d’ailleurs valu un blâme cet été… Une chose est sûre, dans le milieu du spectacle « les frères Arif » semblent bien connus de leurs rivaux. D’ailleurs, à bien y regarder, les entreprises pouvant répondre à ce genre de marché au niveau local ne sont pas si nombreuses : « Il faut de la main d’œuvre, pourtant chez AWF il n’y a personne ! Ce qui signifie qu’ils embauchent des intermittents… Or ils n’ont pas l’agrément pour », glisse l’un des chefs d’entreprise rencontré. Vérification faite, cinq entreprises peuvent se targuer d’avoir le fameux sésame en région toulousaine. Une chose est sûre : sur le terrain la concurrence est rude. En coulisses, elle ne l’est pas moins… D’ailleurs, à un an des élections régionales, l’affaire tombe à point nommé. Il est légitime de se demander à qui « profite le crime » ? Appel d’offres bidon ? Manœuvres politiques ? L’enquête suit son cours.
Eclairage juridique par Nathalie Laval-Mader, maître de conférences en droit public
« Il faut savoir que confier un marché à un proche d’un élu n’est pas une infraction dans la mesure où sont respectés les principes de la commande publique, à savoir égalité de traitement des candidats et transparence de la procédure. Les liens de parenté pourraient être punissables si et seulement s’ils sont consécutifs à un délit de prise illégale d’intérêt (article 432-12 du code civil) ou d’un délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal). Ce dernier point évoque notamment les cahiers des charges « sur-mesure ». On considère en principe que pour qu’un appel d’offre soit valable, il faut trois offres, mais si les entreprises s’autocensurent, c’est leur problème ! »
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