Au domaine de la Ramaye, Michel Issaly produit des vins biodynamiques
Petite oasis de nature au cœur du Gaillacois, le domaine de la Ramaye est une vitrine idéale des apports de l’agriculture biodynamique. Représentant la sixième génération à s’occuper de ce vignoble familial, Michel Issaly travaille sans relâche pour y réintroduire le plus de vie possible tout en produisant les meilleurs vins.
Hors de leur contexte, les explications de Michel Issaly pourraient le faire passer pour un illuminé. Au beau milieu de ses vignes, à la sortie de Gaillac, le viticulteur détaille les principes d’application de la bouse de corne de vache, une des préparations emblématiques de la biodynamie. « Il faut creuser un trou à l’endroit de la parcelle et enterrer une corne de vache remplie de bouse à une lune précise, que l’on déterrera six mois plus tard, également en fonction de la lune. »
Puis il se met à mimer le geste consistant à dynamiser la substance obtenue. Il s’agit de la plonger dans de l’eau et de remuer jusqu’à former un vortex avant de tourner dans l’autre sens, pour créer cette fois un chaos. « Là, on a deux heures pour faire goutter ce mélange sur le sol avec une machine », explique Michel Issaly, conscient du caractère un brin mystique de la pratique.
« La génération de mes grands-parents respectait l’environnement »
Pourtant, l’homme garde les pieds sur terre : tout en évoquant le cosmos ou l’intérêt de parler aux vignes, il sort de sa poche son téléphone pour consulter le calendrier lunaire. Il y a plus de 20 ans, quand il a pris la succession de son père, Michel Issaly était loin de ces préoccupations : « J’appliquais simplement ce que l’on apprenait à l’école même si j’avais un certain ressenti. »
Une sensibilité assurément issue de l’histoire du domaine, propriété de la famille de sa mère depuis 1847. « La génération de mes grands-parents respectait de fait l’environnement, mais il a fallu ’’nourrir la France’’. C’est l’apparition des tracteurs, de la chimie, la disparition des haies. Mon père, qui n’était pas de ce milieu, a suivi les préconisations des conseillers techniques qui prêchaient la bonne parole de la politique agricole, même s’il refusait les insecticides », raconte le vigneron.
« Le vin ne peut pas être naturel si la vigne ne l’est pas »
Paradoxalement, c’est par la cave que Michel Issaly entame la révolution. Son père lui laisse petit à petit les clés de la vinification et, en 1992, il décide d’y bannir tout produit chimique hormis les sulfites : « J’étais plus intéressé par le vin naturel que par l’environnement, mais je me suis bien rendu compte que le vin ne peut pas être naturel si la vigne ne l’est pas. » Autre décision radicale, il passe de 16 à 5 hectares, un choix à l’opposé du modèle de l’époque.En 2000, il exclut cette fois les désherbants de ses parcelles, mais ne s’engage totalement dans les démarches environnementales que dix ans plus tard et pousse la réflexion philosophique jusqu’à la biodynamie, pour laquelle il est certifié depuis 2017.
Pour faire comprendre son approche, Michel Issaly invite simplement à contempler le panorama. Loin des rangées de vignes s’étirant à perte de vue sur un sol dénudé, le domaine de la Ramaye déborde de nature. L’herbe s’y épanouit, parfois assez haut — le vigneron en a encore pour quelques jours de rotofil manuel — des fleurs poussent sous le raisin, un ruisseau bordé de ronces coule à proximité, et des arbres de différentes tailles dessinent le paysage : pruniers, figuiers, chênes… Un désordre apparent pourtant savamment pensé. « Ce qui se voit, c’est le travail sur la biodiversité. Il y a des zones de tampons écologiques, des zones humides, des haies, ainsi que plusieurs niveaux d’arbres. Tout cela a une fonction. »
« La vigne est le fruit de la volonté de l’Homme »
Le concept de biodynamie invite en effet à considérer une exploitation agricole comme un organisme vivant le plus diversifié et autonome possible. Ici, l’herbe bénéficie aux insectes et de fait à leurs prédateurs, qui aident à combattre les maladies. Mais si les criquets et les papillons pullulent, Michel Issaly regrette l’absence d’oiseaux et d’abeilles, que la présence de cultures conventionnelles aux alentours repousse. Cette organisation nécessite des connaissances et du temps, mais induit aussi des risques. Les raisins de la Ramaye ont ainsi subi cette année une grosse attaque de mildiou. « Je me suis trompé de deux jours dans le traitement.
En biodynamie, cela ne pardonne pas », assume Michel Issaly. Le calendrier lunaire est une contrainte supplémentaire, qu’il prend avec pragmatisme. Il s’y réfère pour la taille et le travail en cave, mais préfère se fier à son œil et à son palais pour déterminer les dates de vendange. Avec le temps, il est devenu un expert en purin d’ortie, eau de consoude ou autre poudre de silice, et rappelle : « La vigne est le fruit de la volonté de l’Homme. À la base, c’est une liane qui cherche à grimper. Il n’y a que quand on arrête sa progression que les raisins apparaissent ». Pour aller plus loin, il rêve désormais d’introduire des animaux, vaches, poules, ânes, brebis, voire sangliers, pour entretenir ses vignes. « La boucle sera alors bouclée ».