DISCERNEMENT. Des publicités ciblées, des démarchages qui interviennent au moment opportun, comme par hasard ? Pas du tout. Toutes les données personnelles numériques sont minutieusement collectées et analysées pour une exploitation commerciale. Une dérive voulue par les uns, subie par les autres. Si elle en est la cause, l’évolution des usages peut-elle être une solution ? Rencontre avec Erwane Morette.
En France, l’opinion publique reste globalement vigilante sur l’utilisation de ses données personnelles par un tiers. L’histoire montre que les usagers savent parfois jouer les garde-fous d’un système toujours plus intrusif. Déjà, en 1974, lorsque le gouvernement Pompidou avait lancé son projet d’un Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus (Safari) qui visait à recouper toutes les informations nominatives détenues par les administrations, une vive opposition populaire l’avait fait avorter. Sous la pression, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait été créée.
« Depuis, la loi française encadre plutôt bien l’utilisation des données personnelles et le traçage des usagers à des fins commerciales », explique Erwane Morette, sociologue du numérique au LaSSP (Laboratoire des sciences sociales du politique) de Toulouse. Elle rappelle d’ailleurs que «le fait de capter les traces laissées par les internautes n’est pas illégal, seuls leur stockage et leur recoupement avec d’autres données l’est. De même que l’élaboration de fichiers ethniques ou religieux.» Le piratage et le vol de renseignements personnels sont eux évidemment pénalement répréhensibles.
La plupart du temps, les usagers valident sans le savoir des accords d’exploitation de leurs données personnelles qui permettent la mémorisation de l’historique de navigation. «Aucun danger ne porte atteinte à l’intégrité physique et psychologique, mais la personne peut avoir l’impression d’être espionnée», précise Erwane Morette. « Tirer systématiquement profit des données personnelles par le fléchage commercial date d’il y a seulement 10 ans, depuis que Google détient le monopole en matière de navigation. Ils ne s’en cachent pas, la revente des données étant leur modèle économique », constate-t-elle.
Source : Phishing Initiative
Le développement de masse de Google, du e-commerce et des réseaux sociaux a rendu les internautes moins méfiants. Les dispositifs antifraude des banques et des sites ont également conduit au relâchement de la vigilance, les usagers du web ayant confiance naturellement. D’ailleurs, « les arnaques sont moins nombreuses que ce que l’on pourrait penser, car les pouvoirs publics se sont emparés rapidement du problème. » Au niveau européen même, un projet de loi commune est en discussion pour harmoniser les textes sur le continent.
Mais comme le souligne Erwane Morette, «le plus gros problème vient des États-Unis. Internet est un réseau mondial qui nécessite la coopération de tous les États, et ce n’est pas le cas des USA. La majorité des entreprises qui utilise des données personnelles étant basée là-bas, il s’agit pour l’instant d’un vain combat !» Elle note également que les Américains sont plus sensibles à la liberté quand les Européens optent pour la protection.
Pour la sociologue, tout repose sur une prise de conscience générale qu’elle pense rapide. « Aujourd’hui, l’internaute est passif, or un citoyen éclairé disposant des connaissances nécessaires pourrait faire des choix. Comprenez : dans les années 1980, on parlait d’éducation à l’image pour apprendre aux jeunes à regarder la télé de manière critique. La même chose est indispensable pour le web », détaille-t-elle. Et cela devrait être mis en place dans les écoles, conclut Erwane Morette.
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