Contraste. Ils ont choisi de vivre différemment. Yourtes, tipis, cabanes ou autre kerterre, la région ne fait pas exception à cette tendance. Parfois initié par une contrainte économique, pour la plupart ils ont tout simplement fait le choix de vivre plus proche de la nature. Rencontre avec ces hommes et ces femmes qui défient les lois de la construction occidentale.
L’endroit est somptueux. La forêt à perte de vue, un panorama à couper le souffle. Trouver notre interlocuteur relève presque de la chasse au trésor. Car à la lisière de l’Ariège, entre montagnes et semblant de canopée, sa yourte se fond totalement dans le paysage… Thibaud a 34 ans, il a acheté un terrain de 6 hectares il y a 5 ans : « J’ai mis tous mes centimes dans cette transaction ! », sourit-il. Pourtant si la vie semble bien douce dans la yourte qu’il s’est fabriqué seul, tout n’est pas simple : « Officiellement, je n’ai pas le droit d’y habiter ». C’est le PLU qui définit les zones constructibles ou pas, or dans cette petite bourgade, pas de PLU, du coup la règle est la suivante : il faut avoir accès à l’eau et à l’électricité et ne pas être à moins de 100 mètres de cinq autres habitations, « ceci pour éviter « le mitage » (implantation d’édifices dispersés dans un paysage naturel, ndlr). » Pourtant le maire de cette commune ferme les yeux et tolère l’installation d’habitats dits « légers ». D’autant que, dans la bourgade, on ne compte pas moins d’une vingtaine d’habitations alternatives : « Les cabanes notamment fleurissent à droite à gauche. » Thibaud a fabriqué une yourte en toile acrylique, « j’ai été le premier ici à faire une yourte d’habitation, ce qui représente 250 heures de travail », annonce-t-il fièrement. D’ailleurs son petit chez lui fait des émules. Il faut dire que le site donne de l’inspiration, Thibaud et sa compagne se sont récemment lancés dans la « grimpe d’arbre » et proposent d’initier ceux qui le souhaitent à vivre « proches de la nature ». Sur leur terrain : un grand tipi dortoir, des sanitaires à l’air libre, un dôme de réunion, une petite guinguette de plein air entre feu de camp et four en terre cuite… La définition du bonheur à l’état pur. Thibaut a des projets plein la tête, et entend bien faire évoluer sa yourte personnelle, car en réalité c’est toute une famille qui y loge. Avec ses deux filles de 10 et 8 ans, l’espace commence à sérieusement se réduire : « Nous avons 50 m² au sol et 10 m² de mezzanine pour la suite parentale ». Il s’essaie notamment à la construction d’un kerterre, sorte « d’igloo de terre » et rêverait de fabriquer une cabane en paille… Une chose est sûre : « Nous n’irons certainement pas vivre dans une maison avec des murs carrés ! »
« Nous souhaitons simplement vivre au plus près de la nature »
Si l’habitat léger remet en cause certaines certitudes, il est clair que Thibaut n’est pas un cas isolé. A quelques mètres de là, Veena, d’origine allemande, coule des jours heureux avec son mari. Egalement propriétaires de leur terrain ils y ont construit d’adorables « cabanes » qui s’apparentent presque à des chalets nouvelle-génération. Tout le confort moderne y est présent : poêle, cuisine, salle de bain, grand salon… Il a tout de même fallu compter entre un à trois ans de construction selon la taille du logement, le tout isolé à la laine de mouton pour la toiture et aux cartons pour les murs. Une véritable dévotion au respect de la nature pour cette professeure de yoga et son mari qui enseigne le Thaï-Chi. « Nous souhaitons simplement vivre au plus près de la nature, en harmonie avec elle », explique Veena. Un mode de vie simple qui n’est pourtant pas si loin des us et coutumes de leurs voisins citadins : « Nous avons internet dans nos deux cabanes, mais pas de télé, ça c’est un choix personnel. » Car il n’est finalement question que de choix, qu’il s’agisse du type de logement ou du mode de vie. Le rapport à la nature et la simplicité reste un facteur commun à tous les locataires ou propriétaires d’habitats légers. « J’ai vécu en HLM étant jeune puis j’ai suivi le parcours traditionnel, j’ai acheté une maison. Mais, mes convictions écologiques m’ont fait prendre conscience de la futilité de certains acquis », explique Philippe qui habite une yourte en banlieue toulousaine. S’interrogeant quant à son impact sur l’environnement, il s’aperçoit rapidement qu’il peut « satisfaire ses besoins en utilisant moins de matériaux et d’énergie qu’exigent la construction d’une maison. »
« La terre est faite pour être ouverte pas pour être recouverte de béton »
A Frouzins, Frédéric Lievy et sa caravane sont bien connus. Dans un autre genre, cet « ancien voyageur » comme il aime se qualifier, défend bec et ongle l’habitat léger. « La difficulté c’est justement de s’installer quelque part car les collectivités ne veulent pas de ça sur leur commune. Pourtant la loi prévoit la diversité de l’habitat (voir encadré)», détaille Frédéric qui connait son sujet sur le bout des doigts. Concrètement, les préconisations sont souvent laissées au bon-vouloir des maires.Franck Biasotto, adjoint au maire de Toulouse, en charge du logement, confirme même qu’il « est interdit d’installer une caravane à côté d’une maison louée, sur un même terrain. Quant aux propriétaires, tout dépend de l’environnement…» Bref, rien de bien clair ! « Ils ne veulent pas d’habitat alternatif car on nous considère comme des « gitous » et puis c’est tout ! » peste Frédéric. L’élu, lui, avoue sa méconnaissance quant à la règlementation, Toulouse étant peu concernée par des demandes de ce type. « La loi Duflot-Alur ne va pas assez loin et laisse un vide juridique certain, propice aux interprétations de chacun », précise Philippe. Seul le statut d’agriculteur ouvre un droit à « six emplacements par unité agricole », poursuit-il, ce qui expliquerait le nombre important de reconversion des adeptes de ce type de logement dans l’agriculture. Frédéric, est lui-même éleveur avicole à Frouzins. Père de 6 enfants, il paye « 613 euros de taxe d’habitation ainsi que la taxe foncière ». Pourtant vivre dans une maison traditionnelle ne lui viendrait pas à l’idée, il dit d’ailleurs qu’il « n’arrive pas à dormir dans une maison : culturellement je suis voyageur, comme les blacks sont blacks ! Mon habitat n’est pas subi c’est celui que j’ai choisi. Je n’ai aucune envie de bétonner, la terre est faite pour être ouverte pas pour être recouverte de béton. » Et même s’il concède que l’habitat alternatif prend de l’ampleur à mesure que la crise économique fait des victimes, « l’habitat léger on y prend goût. » Philippe rajoute : « Ce mode de vie pourrait être une solution aux problèmes de logement en milieu urbain », avant de s’emporter : « Je me battrai pour que tout le monde ait le droit de vivre là où bon lui semble, du moment qu’il respecte les règles ! Ce devrait être inscrit dans le droit commun. » Car après tout, le but n’est-il pas de « vivre simplement pour que simplement d’autre puissent vivre ? », s’interroge Philippe en citant Ghandi.
Le + juridique :
La loi ALUR (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) adopté le 20 février 2014 contient des dispositions relatives aux habitats non traditionnels, mobiles ou démontables. Le texte, en modifiant l’article L121-1 du code d’urbanisme, pose le principe que les documents d’urbanisme doivent intégrer tous type d’habitats. Ainsi, selon l’article L 444-1 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi ALUR, les aménagements de terrains destinés à l’installation de résidences démontables ou de résidences mobiles sont soumis à un permis d’aménager ou à déclaration préalable.
Retrouvez les témoignages de Philippe, Thibaud et Frédéric Lievy dans leur intégralité.
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