Ce n’était pas l’innovation du siècle, mais grâce à un concept précisément élaboré, les repas de quartier instaurés à Arnaud-Bernard dans les années 1990 se sont avérés un rempart judicieux contre le déclin des relations entre voisins en ville. Claude Sicre, emblématique artiste toulousain à l’origine du projet, revient sur les principes de base de cet esprit qui perdure.
C’est un concept initié dans le quartier Arnaud-Bernard qui s’est répandu dans toute la France. En 1991, Claude Sicre, chanteur des Fabulous Troubadors, concrétise une idée développée dans un roman qu’il était en train d’écrire et se lance dans l’organisation de repas de quartier. Toutes les semaines, pendant trois ans, d’avril à octobre, les habitants d’Arnaud-Bernard se sont ainsi réunis pour partager les plaisirs de la table. Une manière de faire face à la montée de l’indifférence, que l’association Carrefour culturel perpétue tous les ans en juin.
Tout simple en apparence, le concept repose en réalité sur de solides règles. « La première chose à comprendre est qu’il ne s’agit pas d’un repas entre copains. Le but est d’aller chercher les gens vraiment, même les plus timides, sur le seul critère du voisinage, et leur expliquer le principe sans se contenter de poser des affiches. Et ensuite de faire attention à ce qu’ils se mélangent, qu’ils participent à l’installation et au nettoyage. Cela nécessite une vraie discipline, tout cela était très pensé et organisé », raconte Claude Sicre. L’idée prend et les médias s’en emparent, à tel point que les repas d’Arnaud-Bernard sont victimes de leur succès. « Beaucoup de monde venait là alors que l’objectif était que chacun fasse la même chose chez soi. Et les gens du quartier se sentaient parfois repoussés », regrette Claude Sicre.
Pour maintenir la dynamique, le collectif a donc dû tenir bon et affirmer l’identité singulière des repas de quartier, des événements civiques et pas seulement festifs. « Nous avons par exemple toujours refusé la présence de sonorisation, alors que certains voulaient faire des concerts. Il y a eu beaucoup de fausses bonnes idées de la sorte qui partaient de bonnes intentions mais la réussite du concept reposait sur un vrai travail pédagogique, il ne fallait pas que ça devienne un gadget », poursuit le musicien. De même, un repas de quartier à la sauce Arnaud-Bernard se fait exclusivement en extérieur pour ne pas créer de barrières et doit avoir une heure de fin définie à l’avance.
Quant à l’objectif recherché, Claude Sicre tient à tordre le cou à la caricature du retour à l’ambiance de village : « Le but n’était pas d’abolir l’anonymat que l’on peut trouver en ville mais de mettre en place un contre-pouvoir pour ne pas laisser les choses se déshumaniser, tout en gardant sa tranquillité. » Le troubadour fourmille ainsi d’anecdotes illustrant l’esprit de solidarité qui régnait alors à Arnaud-Bernard. Des petits gestes d’entraide, quel que soit l’âge, la catégorie sociale ou l’orientation politique. « Parfois, on peut être surpris de découvrir l’opinion politique de son voisin mais l’ambition est d’aller au-delà. Il n’était pas question de devenir ami avec tout le monde mais de créer des rapports de concitoyenneté. » À Strasbourg, à Paris, à Montpellier ou à Bruxelles, des repas de quartier perdurent encore aujourd’hui. S’y nouent des liens indéfectibles en dehors de tout mot d’ordre partisan et dont peuvent émerger des solutions à toutes sortes de problèmes.
Musicien à l’origine du groupe Fabulous Troubadors, Claude Sicre est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages. Engagé dans le mouvement occitan, il a également participé au Comité d’organisation du Carnaval de Toulouse ainsi qu’à l’animation du Forom des langues du monde.
Commentaires