À un peu plus d’une heure de Toulouse, le village de Saint-Antonin-Noble-Val fait partie de la dizaine de communes françaises membres de Cittaslow. Un label originaire d’Italie créé pour lutter contre l’accélération des modes de vie. Mais dans la bastide tarn-et-garonnaise, on n’a pas attendu le logo escargot pour y pratiquer l’art du pas de côté.
Comme un îlot hors du temps, Saint-Antonin-Noble-Val se dévoile à mesure que l’on s’engouffre dans l’impressionnant décor des falaises des gorges de l’Aveyron. À l’entrée du village, un logo en forme d’escargot détone au milieu des habituelles labellisations. Le symbole du réseau Cittaslow. Issu du mouvement italien Slowfood, le concept de ”villes lentes” a été fondé pour étendre la philosophie à toutes les facettes de la vie en société. Il repose sur une charte composée de 70 critères censés assurer une meilleure qualité de vie et des rapports plus humains. À contre-courant de la frénésie des métropoles, Cittaslow dénonce l’homogénéisation des modes de vie et rend le culte de la vitesse responsable d’un assujettissement physique et moral.
Ainsi, en cette chaude journée d’été, rien ne presse à Saint-Antonin-Noble-Val. Les touristes arpentent nonchalamment la bastide médiévale et ses ruelles pavées ornées de maisons à colombages. Surprenant, les boutiques de souvenirs sont ici absentes. Pour comprendre cette exception culturelle, direction les rives de l’Aveyron. À la tête d’une entreprise de location de canoës, Joël Bouzillard est aussi vice-président de l’Office du tourisme : « Si les commerces de ”chinoiseries” ne durent pas ici, cela prouve que les gens viennent à Saint-Antonin pour autre chose. Nous avons fait le choix d’un tourisme raisonné basé sur l’itinérance douce : rando, VTT, escalade… »
Au volant du camion qui emmène un groupe au point de départ de son excursion aquatique, il retrace les origines de la labellisation Cittaslow : « Vers les années 2010, il y a eu un projet de supermarché contre lequel se sont mobilisés les commerçants. On a fait appel à un bureau d’études et l’expert est tombé amoureux de Saint-Antonin. C’est lui qui a tout fait. » Lui, c’est Dominique Perchet, géographe aujourd’hui retraité, qui a orienté la commune vers Cittaslow, dont il avait traduit la charte de l’italien au français. Désormais, le réseau comporte une dizaine de villes en France et 250 dans le monde. Le dernier rassemblement international s’est tenu en juin 2018 à Mirande, dont le maire Pierre Beaudran est le président du réseau français. « Pour moi, Cittaslow est un moyen de mettre en avant le bien-être plutôt que le PIB », résume-t-il.
À Saint-Antonin, la labellisation date 2012 mais aujourd’hui encore, Dominique Perchet en est le seul vrai promoteur. Car, de l’avis de nombreux acteurs, l’obtention du sésame n’a rien changé. « 80 % des critères étaient déjà remplis naturellement. Cela n’a fait que confirmer l’attention qui est portée ici à la qualité de vie. De plus, le terme slow et l’escargot ne sont pas toujours très bien vus », assure Joël Bouzillard. Du côté de la mairie, on regarde même le label d’un œil un brin méfiant. « Il ne faut pas que cela régisse la commune », tempère Denis Ferté, premier adjoint. De manière générale, plutôt que de villes lentes, les acteurs français de Cittaslow préfèrent parler de « cités du bien-vivre ».
Une définition qui colle parfaitement à Saint-Antonin, un cas rare de village en milieu rural actif toute l’année avec un taux d’associations unique ; plus de 70 pour 1 900 habitants. Philippe Mairel est un de ces nombreux néo-ruraux qui ont quitté la ville pour se mettre au vert ici. Avec son association Même sans le train, il organise depuis dix ans des concerts et autres spectacles à la Salle des Termes. Il a donné rendez-vous au café de la Halle : « Je suis arrivé il y a 20 ans pour sortir du ”tout à fond”. Depuis, c’est la vie royale. Tout le monde se connaît, on s’entraide et il y a surtout plein de gens exceptionnels. » Comme pour confirmer ces propos, des notes de musique s’échappent tout à coup d’un piano installé à même la place. À la table d’à côté, deux Anglais s’affrontent aux échecs. Presque trop beau.
50 mètres plus loin, Le Tracteur Savant” est une autre particularité du village. Ouverte depuis 2014, la librairie participe activement à la vie locale. « Saint-Antonin est un lieu spécial. Dans une société qui va trop vite, ici on prend le temps. Par exemple celui d’attendre de recevoir un livre plutôt que de le commander en ”Amazonie” », sourit Aurèle Letricot, sa créatrice.
Pour autant, la libraire, comme Joël Bouzillard ou Philippe Mairel avouent parfois manquer de temps, comme tout le monde. « Mais la différence, c’est qu’on a fait le choix d’être ici », se marre le dernier. « Saint-Antonin attire un profil de personnes qui inventent leur propre activité et mettent en œuvre leurs idées, en acceptant d’avoir moins de ressources », avance de son côté Laure Rose, directrice de l’association Alabrena, autour du bien-être. Tous sont en tout cas conscients de la fragilité de cette alchimie.
Commentaires