Volte-face. L’ombre du métro plane sur Labège mais l’incertitude est encore grande. Le prolongement de la ligne B (PLB) semble plus que jamais remis en cause, alors que la troisième ligne en est encore au stade de l’étude. Si le PLB est abandonné, quelles conséquences pour Labège et Toulouse ?
Par Séverine Sarrat et Coralie Bombail
Le sujet est sensible. L’arrivée du métro à Labège est aujourd’hui une affaire purement politique. Les acteurs économiques du secteur Labège Innopole, conscients d’être au cœur d’une guerre entre le Sicoval et Toulouse métropole, ne souhaitent pas être instrumentalisés. Ils n’ont qu’une idée en tête : que le métro arrive jusqu’à Labège. « Nous sommes au seuil de l’émergence d’un pôle économique important qui pourrait devenir le pendant de Blagnac », affirme Christian Zani, trésorier de l’association ‘‘Pour le PLB à Labège’’ et gérant du cabinet Zani et Couderc. Entre l’IOT Valley, l’université Paul Sabatier à proximité, la présence de grandes écoles, l’arrivée de nouvelles entreprises comme Thalès, en septembre 2016, ou encore le CEA Tech en 2017, la zone économique est effectivement en pleine expansion. « Il y a une logique évidente à l’émergence d’un tel équipement, nous sommes ébahis de la lenteur de la prise de décision, Toulouse est en train de se tirer une balle dans le pied », lance Christian Zani. Les chefs d’entreprises de Labège Innopole soulignent un enjeu pour l’ensemble de la métropole. Cette zone d’activité spécialisée dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication, peut attirer de grands groupes nationaux : « S’ils ne choisissent pas Labège, certains vont préférer s’installer dans une autre ville », poursuit le chef d’entreprise.
Une concurrence qui peut également s’accroître en matière de recrutement, comme l’explique Christophe Gabette, directeur des affaires générales de Berger Levrault : « Dans les métiers du numérique, on ne trouve pas facilement toutes les compétences, il faut donc être capable d’attirer les nouvelles recrues sur notre site. Les jeunes ingénieurs sont aujourd’hui dans une approche sociale qui les pousse à s’intéresser aux facteurs environnants du poste proposé : le lieu d’implantation, les moyens de transport et le mode de vie… » Bref, l’absence du métro est un facteur « pénalisant » pour attirer de jeunes actifs. L’entreprise Berger Levrault, implantée à Labège depuis une vingtaine d’années, vient d’investir ses nouveaux locaux dans le quartier Innométro : « Nous avons choisi de rester à Labège car nos collaborateurs apprécient le côté campus verdoyant du site, la proximité du Carrefour, l’offre de restauration pour les déjeuners… Le PLB était un élément supplémentaire pour rester. »
La construction du quartier Innométro, qui devait être finalisée en 2019, coïncidant ainsi avec les premières estimations de l’arrivée du métro, prend du retard. Le PLB étant au cœur de ce projet de quartier (habitat et bureaux) à mobilité douce, il prendra autant de retard qu’en prendra l’arrivée du métro. « Il y était notamment prévu de développer des zones commerciales autour des stations de métro mais bien sûr tout cela est mis en suspens », précise Alain Serieys, vice-président du Sicoval en charge de l’aménagement. Ainsi, de nombreux projets se retrouvent en gestation, en attendant la décision finale de Tisséo qui devrait être connue le 7 avril au plus tard.
« Toutes les réserves émanant de l’enquête publique ont été levées »
Néanmoins, la zone économique de Labège s’est construite sans le métro, et a su développer ses propres atouts. Si le PLB n’arrive pas, il y a peu de chance que les grandes entreprises remettent en cause leur implantation. Mais le métro serait un atout supplémentaire pour que le quartier Innopole change de catégorie. Jean Bergougnan, consultant à DTZ (immobilier d’entreprise), rappelle « l’effet métro » indiscutable pour l’économie d’un quartier : « On le constate particulièrement à Basso Cambo où le volume de vente de bureaux est toujours important, quel que soit le contexte, on a vu également que Balma s’est considérablement développé dès l’arrivée du métro. » A Labège, la commercialisation des locaux commerciaux est encore complexe. A titre de comparaison, 60 000 m² se sont vendus à Basso Cambo, en 2014 contre 28 000 m² à Labège. « Le métro, quel que soit le projet, serait un atout incontestable pour le développement économique de la zone Innopole », poursuit Jean Bergougnan. Si le PLB est compromis, la troisième ligne (TAE) pourrait-elle satisfaire les acteurs économiques de Labège ? « Non ! Ce projet est encore hypothétique et repousse à 10 ans l’arrivée du métro. Pourquoi attendre ? » répond sèchement Christian Zani. Christophe Gabette est moins catégorique : « La 3e ligne est séduisante mais un peu différente du PLB. Il dessert l’aéroport et répond moins aux préoccupations quotidiennes de nos salariés qui habitent, pour beaucoup, les quartiers sud et sud-est toulousains. »
Le tracé est encore à l’étude et devrait être connu en décembre mais Jean-Michel Lattes, adjoint toulousain en charge des transports, rappelle la position de Toulouse métropole sur ce dossier : « Nous ne pourrons pas réaliser le PLB et la 3e ligne, et nous préférons la 3e ligne. » En ce qui concerne le calendrier, il précise que « la TAE devrait être livrée en 2024 tandis que le PLB était prévu pour 2022. » Le dossier n’est plus à 2 ans près. En attendant, la bataille politique se poursuit. Le Sicoval, soutenu par le Conseil départemental, continue de faire pression sur Toulouse métropole et Tisséo (un des principaux financeurs du PLB, ndlr). « Comment Tisséo peut-il porter le projet PLB pendant des années, le soumettre à une enquête pour en démontrer l’utilité publique et finalement, ne plus soutenir le projet au moment même où il devrait être lancé ? » s’interroge Jacques Oberti, président du Sicoval. Pour cette collectivité, l’abandon du PLB est tout simplement inenvisageable, « le plan de financement est bouclé, toutes les réserves émanant de l’enquête publique ont été levées, il ne reste plus qu’à démarrer… » estime-t-il, confiant, appuyé par Alain Serieys : « Jean-Luc Moudenc ne peut pas abandonner un projet pour lequel il a été investi 15 millions d’euros d’études tout en expliquant aux Toulousains que les caisses sont vides et qu’il est nécessaire d’augmenter les impôts ! » Le Sicoval va même jusqu’à défendre les deux projets comme étant « complémentaires ». Qui peut le plus peut le moins…
Un magazine qui en dit long
Au moment même où Tisséo fait part de son hésitation concernant le PLB, le Sicoval publie le n° 80 de son magazine institutionnel « Sicoval info ». La Une de ce dernier, « Labège : Ligne B en approche », démontre la confiance absolue de Jacques Oberti, président de la communauté d’agglomération, et de ses équipes quant à la finalisation du PLB. « Le jeu politique mené par Tisséo », comme le souligne Alain Serieys, vice-président du Sicoval, ne semble pas intimider les défenseurs du prolongement.
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