Santé. Ville pionnière dans le domaine du progrès médical, Toulouse se démarque par de nombreuses recherches et innovations en cardiologie et cancérologie notamment. Mais sont-elles accessibles à tout le monde ?
Par Myriam Balavoine
Le système de santé français est censé offrir à tous les citoyens un égal accès aux soins les plus innovants. Cependant, encore aujourd’hui, ce postulat reste fragile. En écho à cette situation, Toulouse a accueilli ce 14 octobre à l’Institut Universitaire du Cancer (IUCT) Oncopole, la première des 8 rencontres publiques du ‟Débat Innovation Cancer”. Une réflexion collective qui vise à faire émerger des réponses favorisant l’équité d’accès en cancérologie, autour de la question-clé ‟Comment assurer économiquement l’égalité d’accès aux soins innovants ?” Un sujet particulièrement sensible en Midi-Pyrénées, région qui compte près de 16 000 nouveaux cas de cancer par an. L’évolution de cette maladie et l’émergence de nouvelles voies thérapeutiques ont un impact notable en termes sanitaires, économiques et organisationnels, et impliquent l’ensemble des acteurs de santé comme les citoyens. Animé par Michel Laspougeas, Président du Conseil régional de l’Ordre des Pharmaciens de Midi-Pyrénées, et Florence Taboulet, Professeur de Droit Pharmaceutique et Economie de la Santé à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, le débat public ‟Innovation Cancer” de Toulouse sera le premier d’une démarche citoyenne à l’échelle nationale, mobilisant 8 régions entre octobre et décembre 2015. Pour Benjamin Gandouet, directeur de l’IUCT Oncopole qui a accueilli l’évènement, « cette réflexion sur l’élargissement des stratégies de financement est essentielle tant pour l’intérêt collectif qu’individuel. Car la vie n’a pas de prix mais la santé a un coût. »
A Toulouse, l’IUCT Oncopole est un pôle leader de recherche et d’innovation médicale, finançant et labélisant des programmes comme la mise au point de nouveaux traitements permettant au système immunitaire de mieux se défendre face au cancer. Pour le Dr Jean-Pierre Delord, chef du département d’oncologie médicale et responsable de l’unité de recherche clinique à l’IUCT Oncopole, « le progrès lié à l’innovation est difficile à mesurer étant donné le manque de recul actuel, pourtant nécessaire à une telle évaluation ». Considérant l’accès à l’innovation comme « un enjeu fort et un marqueur de la société », il s’est lui-même posé la question de savoir si « toutes les personnes confrontées au cancer peuvent bénéficier des innovations de traitements ». Concrètement, deux groupes de patients atteints de cancer ont été comparés : d’une part ceux ayant assisté à ses consultations, d’autre part ceux n’étant pas venus. Ces derniers ne font pas spécifiquement partie des milieux socio-économiques les plus démunis. Ainsi, pour le responsable de recherche clinique, « même si tout n’est pas parfait, les inégalités sociales ne sont pas à l’origine d’un retard d’accès à l’innovation ». En ce qui concerne les programmes de recherche clinique du Dr Jean-Pierre Delord, les patients lui sont adressés par des cancérologues suite à un diagnostic en amont, lorsque les traitements connus ne sont plus efficaces et qu’ils correspondent aux différents critères d’éligibilité. Les frais médicaux sont d’ailleurs pris en charge. Si inégalité il y a, elle surviendrait donc avant même le premier diagnostic.
« Il y a toujours une inégalité lors d’un essai »
Cette inégalité d’accès aux soins qui résiderait à la source du parcours de soin se retrouve également en cardiologie. Le Pr Michel Galinier, chef de service de cardiologie au CHU de Rangueil, le relève : « En ce qui concerne l’innovation thérapeutique entrée dans le domaine commun, je ne pense pas qu’il y ait une inégalité d’accès. Une certaine inégalité peut, par contre, résider dans le suivi antérieur, à partir du moment où les patients nous sont adressés par leurs cardiologues traitants. » Ainsi, une personne bien suivie à Toulouse aura plus de chance d’accéder aux innovations cardiologiques telles que les cœurs artificiels de substitution ou les cœurs artificiels totaux, qu’une personne vivant en Ariège ou dans le Lot où le nombre de spécialistes est moindre. Pâtissant de l’évolution de l’accès aux soins de première intention et de la courbe descendante du nombre de médecins, certaines personnes peuvent ainsi, n’être pas référées du tout ou trop tard. Benjamin Gandouet relève lui aussi cet aspect, prenant notamment l’exemple de la campagne de dépistage du cancer du sein ‟Octobre Rose” : « Malgré la gratuité de ce dépistage, proposé à toutes les femmes, certains publics ne se déplacent pas, selon leurs quartiers. Il existe là une inégalité de type territorial. » Des réseaux structurés existent dans la plupart des domaines médicaux (Cardiomip, Oncomip, Résomip…) assurant un relai de l’information et des dossiers entre les différents établissements et censés prévenir ces problématiques.
En cardiologie, le Pr Michel Galinier avance d’autres sources d’inégalités possibles, notamment en ce qui concerne les essais thérapeutiques en cours. « Il y a toujours une inégalité lors d’un essai, sachant que deux groupes de patients existent : un témoin et un placebo. Ainsi, l’un des deux groupes est forcément lésé, même si, au départ, nous ne pouvons pas savoir lequel ce sera » explique-t-il en faisant référence à un essai sur les troubles respiratoires dont le type d’appareillage d’aide ventilatoire a finalement augmenté la mortalité cardiovasculaire, arrêtant ainsi brutalement l’essai. Une innovation, pouvant revêtir diverses formes, organisationnelle lorsqu’il s’agit du parcours du patient ou technologique, n’est pas toujours synonyme de progrès. L’attente des résultats des essais, quant à elle, se fait parfois longue. Ce qui est sûr pour le Pr Michel Galinier, c’est qu’actuellement « les médecins ne sont pas limités économiquement, malgré le déficit de la Sécurité Sociale, et font au mieux pour le bien de leurs patients ».
Rendez vous sur : www.debat-innovation-cancer.fr
Le + : La valeur du ‘‘bien santé’’
Mesurer la valeur ajoutée des innovations n’est pas chose facile. Le décideur public doit mettre en balance l’apport économique et social de la santé, en jugeant des critères d’efficacité et d’utilité sociale des procédures ou des produits innovants concernés. Seul face à cet arbitrage, il doit évaluer les bénéfices pour la société mais aussi son coût et trouver le meilleur équilibre entre consommation et investissement. Un investissement utile, garant d’une offre de qualité, cherchant à donner une valeur à ce qui n’a pas de prix : la valeur du ‘‘bien santé’’. Des enjeux à la fois économiques et de solidarité nationale, dont les choix sont de plus en plus scrutés au niveau européen, en termes de déficit public.
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