On a beau savoir qu’il y a entourloupe, difficile de s’offusquer vraiment d’une ruse dont on ne comprend que trop bien les motivations. Jusqu’à très récemment, l’obsolescence programmée souffrait ainsi d’une sorte d’impunité. Mais devant l’urgence écologique, la société invite désormais les industriels à plus de responsabilités. Le législateur s’est emparé du sujet et les initiatives fleurissent, à l’image de ce label que vient de lancer une start-up toulousaine. Entre Cafés Bricol’ et sites de pièces détachées, bienvenue chez ceux qui souhaitent longue vie à nos objets.
L’enfer est, dit-on, pavé de bonnes intentions. En tout cas, quand Bernard London, courtier en immobilier new-yorkais théorisait en 1932 une obsolescence légale et planifiée, le but n’était pas de tromper les gens sur la marchandise mais de relancer la consommation. « À l’époque, on jugeait le concept positif. C’était quelque chose d’assumé dont le but était de sortir de la grande dépression », souligne Thierry Libaert, président du groupe de travail sur l’obsolescence programmée du think tank La Fabrique Écologique.
C’est plus tard, dans les années 1950, qu’un designer industriel, Clifford Brooks Stevens, se réapproprie le terme et lui confère un aspect vicié. Il s’agissait pour lui « d’inculquer à l’acheteur le désir de posséder quelque chose d’un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire ». Une stratégie largement éprouvée encore aujourd’hui.
Depuis, l’obsolescence programmée subsiste dans l’opinion publique comme un phénomène dont les citoyens ont conscience mais dont on ne cerne pas très bien les contours. « On le présente souvent comme un complot ourdi par des entreprises qui sabotent sciemment leurs produits, mais ces cas sont rarissimes », rappelle Thierry Libaert. Deux exemples ont marqué les esprits : ceux des fabricants d’ampoules qui se sont entendus en 1924 pour réduire la robustesse des filaments, et des bas nylon Dupont rendus plus friables dans les années 1940. « Aujourd’hui, la réalité de l’obsolescence programmée réside plus dans la possibilité de réparation d’un produit que dans sa durée de vie », poursuit l’expert.
Depuis 2010, le sujet est en tout cas devenu un problème public et une loi a vu le jour en 2015 pour le définir et en faire un délit. L’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP), constituée la même année, est à l’origine des deux premières plaintes, contre Apple et contre la marque d’imprimantes Epson. « Les procédures sont en cours, mais le fait que des procureurs se soient saisis des cas, et surtout qu’Apple ait reconnu ce qu’on lui reprochait, sont déjà des avancées », lance Laëtitia Vasseur, cofondatrice de HOP. Outre l’évident gâchis écologique, cette dernière insiste surtout sur les conséquences sociales de l’obsolescence : « Non seulement les produits de moins bonne qualité sont réservés aux plus démunis, mais ils doivent en acquérir plus souvent et donc perdent en pouvoir d’achat. C’est une double peine. »
L’association travaille ainsi auprès des industriels pour les inciter à des pratiques plus vertueuses. Elle a aussi obtenu que l’affichage de la durabilité des produits soit obligatoire dès 2020. « Les choses vont dans le bon sens mais certains estiment encore que cela ne sert à rien de concevoir des objets durables puisque les gens ont toujours envie de nouveauté. C’est ce que l’on appelle l’obsolescence psychologique. Les consommateurs ont donc leur part de responsabilité, c’est à eux de montrer qu’ils sont prêts à payer plus cher pour une meilleure qualité. Tout est une question de confiance réciproque à retrouver », assure Thierry Libaert.
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