BULLE D’EAU – Il n’y a pas que les rhumatismes qui se soignent dans les cures thermales. À Bagnères-de-Bigorre, les Grands thermes ont imaginé la mini cure “Mains libres” pour les accros au smartphone. Il ne nous en fallait pas plus pour prendre la route des Hautes-Pyrénées et tenter de lever le pied sur les nouvelles technologies. Un reportage garanti sans onde WiFi !
Le smartphone est allumé. Mais c’est pour la bonne cause. Il indique la route qui mène jusqu’aux Grands thermes de Bagnères-de-Bigorre. Une heure et demi plus tard, je ne peux pas m’empêcher de dégainer à nouveau mon joujou high-tech pour prendre un selfie en tongs et peignoir blanc sur le marbre de ces thermes majestueux construits en 1828. Ici, le peignoir est à la mode. Des dizaines de personnes déambulent entre les douches et le solarium. Des enfants viennent soigner leur asthme, des mamies leurs rhumatismes, un jeune cadre son burn-out. Si l’eau thermale de Bagnères a des vertus relaxantes, je ne suis pas venue pour barboter dans un jacuzzi en postant des photos des bulles sur Facebook. D’ailleurs, les téléphones portables sont interdits dans les zones de soins. « Nous avons réalisé que l’addiction au smartphone représentait un vrai problème pour de nombreuses personnes qui venaient se soigner pour d’autres affections », explique Charlotte Trey, psychologue aux thermes. Alors, il y a deux ans, les Grands thermes ont créé ‘’Mains libres’’, une mini cure de cinq jours. Un premier entretien avec la psychologue permet au curiste de prendre conscience de l’ampleur de l’addiction. « Chez certains, cela provoque des troubles du sommeil, d’autres s’isolent, s’éloignent de leur famille ou tombent en dépression », raconte Charlotte. L’objectif de la cure : lâcher prise ! Pour cela, direction la salle de relaxation. Paupières fermées, je m’affale sur un transat au son d’une musique apaisante. « Pendant 45 minutes, vous allez vous concentrer sur votre respiration et prendre conscience de votre corps », glisse à voix douce Charlotte. Timidement, je commence à me relâcher. Même le pouce, habitué à surfer sur l’écran, se met au repos.
« Lors de l’entretien avec la psychologue, j’ai réalisé que le smartphone était mon premier et mon dernier réflexe de la journée »
Sans rallumer mon smartphone, je me dirige ensuite vers Razvan. Les grandes mains du jeune kinésithérapeute ne laissent pas de doute sur ce qui va suivre. Sous des jets d’eau thermale, je m’installe sur la table de massage. « Je vais travailler les zones de tension, en particulier le plexus solaire et le dos », explique Razvan. « Ces tensions peuvent apparaître lorsque l’on passe trop de temps assis devant un écran, ou à cause du stress. » 20 minutes plus tard, je prends le chemin des bassins d’eau thermale. « Nous allons faire le Watsu », me prévient Gilles, la cinquantaine, en slip de bain. « Il s’agit d’un shiatsu adapté au milieu aquatique qui a été créé dans les années 1980. Vous allez vous laisser-aller. Fermez les yeux et ne soyez pas surprise : je vais vous prendre dans les bras. » Ce n’est pas que l’idée d’une valse aquatique ne m’emballe pas, mais là, tout de suite… Je ferme pourtant les yeux et me laisse porter dans l’eau, entraînée dans des mouvements très doux. J’ai bientôt l’impression de flotter, d’être en apesanteur, je ne sais plus vraiment où je suis ni dans quelle position. « Le Watsu permet un état de conscience tellement différent que certaines personnes se mettent à pleurer », raconte Gilles.
« Avec la cure, j’ai fait des choses concrètes, je me suis reconnectée au réel et j’ai pris de nouvelles habitudes. »
Après cette impressionnante expérience de lâcher-prise, il reste encore une séance de gym, une marche d’oxygénation en pleine montagne, un atelier créatif et des moments de détente dans l’élégant hammam de l’espace thermoludique Aquensis. C’est ce programme, étalé sur 5 jours, qu’a suivi Corine. Il y a trois mois, cette habitante de Bagnères est allée chez son médecin. « J’étais très fatiguée sans en trouver la raison ! En fait, je manquais de sommeil : tous les soirs, je passais plusieurs heures sur mon smartphone, jusque dans mon lit. » Ses addictions s’appelaient Facebook et Candy Crush. Sur le conseil de son médecin, Corine s’est lancée dans la cure. « Lors de l’entretien avec la psychologue, j’ai réalisé que le smartphone était mon premier et mon dernier réflexe de la journée », lance-t-elle. « Avec la cure, j’ai fait des choses concrètes, je me suis reconnectée au réel et j’ai pris de nouvelles habitudes. » Depuis, si Corine aime toujours glisser son index sur l’écran, elle a divisé par deux sa consommation. Mais, aujourd’hui, rares sont ceux qui arrivent à prendre conscience de leur addiction. Pour preuve, seulement une petite dizaine de personnes a participé à la cure. « Pour de nombreux actifs, il est devenu normal de répondre à leurs mails 24 heures sur 24 », explique Charlotte Trey. « Être ultra-connecté s’est banalisé ! » Pourtant, un peu partout en France, les propositions de détox digitale se multiplient. Elles pourraient, à l’avenir, représenter un véritable marché. La cure de Bagnères coûte 199€ sans hébergement. À l’île de Ré, il faut débourser 540€ et à Vichy, 1029€ pour trois jours. Un vrai budget.
L’éprouvante journée arrive à sa fin. Je n’ai même pas le réflexe d’enlever le mode avion. Si jamais je replonge, il me restera toujours à tenter des solutions extrêmes. Comme prendre un billet pour Green Bank, la ville américaine qui a banni les ondes WiFi de son territoire. Tiens, je vais aller regarder s’il y a des billets sur mon smartphone…
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