Pas de scientifique hirsute en blouse blanche, de fioles fumantes ou d’interdiction d’entrer. Dans les locaux où travaillent Sylvie Lorthois et son équipe, à l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse, on ne trouve que des bureaux et des ordinateurs…
Seul un tableau blanc recouvert d’abréviations indique la complexité du sujet qu’étudie l’équipe de Sylvie Lorthois : la microvascularisation cérébrale. Directrice de recherche au CNRS et responsable du projet BrainMicroFlow à l’Institut de mécanique des fluides de Toulouse, elle encadre ici une demi-douzaine de collaborateurs, jeunes docteurs en mathématiques appliquées ou en passe de l’être : « Ce sont eux qui font le boulot, eux les forces vives de la recherche ! »
Leur but est d’être les premiers à réaliser la simulation numérique de l’écoulement sanguin dans un cerveau humain complet, pour faire progresser la connaissance sur cet organe encore mystérieux et ses liens avec des maladies dégénératives comme celle d’Alzheimer : « On ne proposera pas de nouveaux traitements. Mais si dans les 20 ans qui viennent, on contribue à un meilleur diagnostic, à une meilleure prise en charge et à une meilleure qualité de vie des personnes âgées, l’objectif sera rempli ! », précise Sylvie Lorthois.
À son poste, Amy passe le plus clair de son temps à extraire des données, notamment à partir d’images de vaisseaux sanguins cérébraux. Elle peut ainsi générer numériquement des cartes détaillant leur organisation ou des objets artificiels, pour tester certaines hypothèses : « La base de notre travail est la simulation. Nous utilisons tous le même code informatique et des algorithmes élaborés en commun », explique la jeune chercheuse d’origine anglaise, qui a fait sa thèse à Oxford. Maxime et Vincent, eux, créent des modèles virtuels de réseaux de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de vaisseaux sanguins.
Plus l’échelle est petite et plus elle nécessite de traitements informatiques : « Ce sont des calculs assez lourds, compliqués à mettre en place, que nous faisons tourner sur des supercalculateurs de l’Espace Clément Ader, à Montaudran », précise Vincent, qui rejoindra à la rentrée une entreprise spécialisée dans la simulation numérique, faute de postes dans la recherche académique toulousaine.
Au sein de l’équipe, c’est Adlan qui se charge des expérimentations. Il vient justement d’en réaliser une dans les locaux du laboratoire délocalisé à l’hôpital Purpan, sur des globules rouges humains fournis par l’Établissement français du sang voisin. De retour à l’Institut de mécanique des fluides, il visionne, sur son ordinateur, la vidéo filmée par le microscope où des dizaines de petites galettes biconcaves (les globules rouges) se déforment et se tortillent pour traverser des tuyaux de 10 microns de diamètre (des vaisseaux artificiels qu’Adlan a organisés en nid d’abeilles).
« L’expérience en elle-même prend beaucoup moins de temps que sa conception et son interprétation. Un étudiant-chercheur passe 80% de son temps derrière un écran», souligne Sylvie Lorthois, qui vient de rejoindre son bureau, au premier étage du bâtiment principal. On y trouve des livres, des dossiers, des papiers, des maquettes, des dessins de ses enfants… et un canapé pour la sieste, lorsqu’elle est possible. Dans l’entrebâillement de la porte, un ventilateur expulse l’air chaud vers le couloir : « C’est de la mécanique des fluides. Et quand on ferme les fenêtres, alors on dirige le ventilateur sur son visage ! » Étouffants en été, ses locaux ne sont pas de toute première jeunesse, comme bien d’autres au sein de l’institut qui se construit par petits bouts depuis près d’un siècle.
Le dernier aménagement en date est une pièce d’une vingtaine de mètres carrés, plantée non loin des canaux hydrauliques inclinables de l’immense hall expérimental. Elle renferme le fameux Tomo X, un engin à rayons X, livré il y a moins d’une semaine, qui ressemble à un simulateur de vol. Sylvie Lorthois en attend beaucoup : « J’espère qu’un jour il nous permettra de visionner le cerveau entier d’une souris, avec tous ses vaisseaux. Ce serait formidable. » Une expérience qui ne pourrait se faire sans la présence par exemple d’experts en injection anatomique.
La collaboration faisant partie intégrante du métier de chercheur : « Ces interactions sont nécessaires car nos travaux sont multidisciplinaires », témoigne Pauline, docteure en mécanique, chargée de recherche depuis trois ans au CNRS, qui étudie les tumeurs osseuses cancéreuses. « C’est cette dynamique collaborative qui m’a décidée à venir à l’Institut de mécanique des fluides. Une personne seule ne pourra jamais répondre à l’ensemble des questions que pose l’objet de sa recherche. Ici, les scientifiques avancent ensemble. »
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