Perfs. Les scandales du dopage défraient régulièrement la chronique. Course à la performance, enjeux économiques, ambitions personnelles, les raisons ne manquent pas pour recourir aux produits dopants, dans la sphère professionnelle comme chez les amateurs.
Par Coralie Bombail et Aurélie Renne
Le dopage est une réalité qui touche tous les sports. Même si certains sont considérés comme particulièrement « à risque » par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) : « le cyclisme, l’athlétisme, l’haltérophilie, le football et le rugby », cite Christophe Basson, correspondant inter-régional de l’AFLD, en Aquitaine et Midi-Pyrénées. En charge des contrôles pour le compte de l’organisation nationale, qui fixe les priorités en fonction des régions, il explique : « ici, nous sommes très attentifs au milieu du rugby car nous comptons 13 clubs professionnels sur les 30 en France ». Avec la professionnalisation du rugby, le dopage est devenu une pratique courante pour prendre de la masse musculaire rapidement. C’est ce qui a alarmé Laurent Bénézech, ex pilier de l’équipe de France et ancien joueur du Stade Toulousain notamment. L’an dernier, il a dénoncé dans la presse le « dopage organisé » dans les clubs avant de sortir un livre en octobre 2014 ‘‘Rugby où sont tes valeurs ?’’ (éditions La Martinière). « Pendant longtemps, j’ai vu des choses qui me troublaient mais c’était des cas isolés. En 2013, j’ai revu des joueurs que je connaissais et j’ai été frappé par leur évolution physique anormale », raconte l’ancien pilier de l’équipe de France. Il se rend compte alors « de l’ampleur du phénomène» et dénonce ce qu’il appelle « l’accompagnement médicalisé de la performance » qui n’est plus seulement le fait de quelques préparateurs physiques douteux et isolés… « Par exemple, faire prendre des corticoïdes aux joueurs hors des périodes de compétition, ce qui n’est plus interdit par la loi… Cela permet d’éteindre la douleur et la fatigue et de toujours repousser les limites », précise-t-il. Pour cet ancien rugbyman, « il y a derrière les victoires des enjeux économiques et politiques très importants, qui poussent à aller toujours plus loin dans la performance ». Ces déclarations lui ont valu trois procès en diffamation « que j’ai tous gagnés ». Pas si simple de briser l’omerta autour du dopage : « Il n’y a qu’à voir le dernier exemple en date à Toulouse avec le talonneur Ralepelle contrôlé positif à un stéroïde anabolisant, si le journal L’Equipe ne l’avait pas sorti, ce serait resté dans les limbes de l’IRB (International rugby board) ».
Prévention du dopage : « Chronique d’une mort annoncée »
La lutte antidopage souffre clairement de cette loi du silence : « dans le domaine du dopage, la coopération n’existe pas, on ne nous facilite pas la tâche », tranche Jacques Def, ancien correspondant régional de l’AFLD (jusqu’à la fusion des instances avec la région Aquitaine, en août dernier, ndlr). Selon lui, il y a un problème « de volonté politique au niveau des fédérations internationales, qui sont les maîtres du jeu… » Au niveau local, le nombre de contrôles par an est « constant depuis plusieurs années, car le budget ne change pas », précise Christophe Basson, soit « entre 50 et 60 prélèvements par mois ». Ce qui change, c’est la stratégie « pour mieux cibler les disciplines et gagner en efficacité ». Un constat que corrobore Frédéric Depiesse, président de la commission médicale de la fédération française d’athlétisme : « dans un but de rendement, on contrôle certains sports en dépit des autres ». Actuellement, la moyenne de contrôles positifs annuels est de « 20 à 30 cas sur les deux régions», indique le correspondant local de l’AFLD. Les contrôles n’épargnent pas le sport amateur « même si la Cour des comptes nous a demandé de nous concentrer sur le milieu professionnel, car nous savons qu’il y a des très gros risques chez les amateurs », poursuit Christophe Basson. Le lieu-commun qui associe dopage et argent ne se vérifie pas forcément… « On le remarque notamment dans les salles de musculation où les personnes ont des problématiques de mal être, d’acceptation de soi qui les incitent à se doper ». Patrick Chevalier, fondateur de l’association ‘‘100% sport pur’’ à Balma, a également constaté ce phénomène : « lors d’une opération de contrôle au Marathon de Toulouse sur la base du volontariat : sur 97 personnes arrivées -après la 500e place- nous avons eu 8 cas positifs ! » L’association a pour principal objectif la prévention dans les établissements scolaires, « mais nous avons peu de contacts avec les clubs qui préfèrent faire l’autruche », regrette le fondateur aujourd’hui secrétaire général. C’est là que le bât blesse, comme l’explique le docteur Ana Senard de l’Antenne médicale de prévention du dopage Midi-Pyrénées: « les antennes régionales de prévention ont été créées en 2000, suite à la loi Buffet, la France a toujours été pionnière dans ce domaine ; pourtant aujourd’hui c’est un peu la chronique d’une mort annoncée ». L’objectif de l’AMPD est de recevoir les sportifs qui ont été contrôlés positifs : « c’est la loi, le sportif doit suivre une prise en charge avant de récupérer sa licence ». Mais depuis deux ans, « on voit de moins en moins de sportifs, les fédérations donnent clairement des licences outrepassant ce rendez-vous à l’antenne. » Effet pervers : la baisse de fréquentation à l’antenne génère une baisse du budget alloué. « Le dopage est un sujet complexe, termine-t-elle, il est clair que les fédérations ne jouent pas le jeu, l’important c’est de gagner peu importe le reste ».
Dopage 2.0
Le problème récent, dans le sport amateur notamment, est la prise de compléments alimentaires. «Certains sportifs ont été contrôlés positifs aux anabolisants après avoir pris ce type de complément », signale Christophe Basson. « C’est un leurre, un moyen de cacher des choses plus puissantes, lorsque ces produits sont issus de l’étranger car rien n’oblige les fabricants à détailler tous les composants», confirme Frédéric Depiesse. Internet est d’ailleurs venu brouiller les pistes des réseaux traditionnels des produits dopants, « qui s’apparentent fortement aux réseaux de la drogue », selon Christophe Basson également chargé d’animer la commission de lutte contre les trafics de produits dopants. Cette instance regroupe notamment la préfecture, la gendarmerie, la police, et surtout les douanes « qui n’ont pas été formées aux produits dopants mais seulement aux stupéfiants ». Objectif : accroître la vigilance aux frontières, notamment avec l’Espagne mais aussi aux aéroports « car les produits commandés sur le web arrivent souvent d’Asie ». La proximité d’Andorre est clairement un point clé des réseaux du Sud-Ouest. Pierre Saint-Blancat, qui a réalisé le film « Prévenir pour progresser », sorti en 2003, avait repéré lors du tournage « une pharmacie très connue pour fournir n’importe quel produit sans ordonnance, j’ai filmé en caméra cachée mais nous n’avons jamais sorti les images ». Il avait l’ambition de réaliser un reportage plus dénonciateur sur les réseaux du dopage, «mais curieusement, nous n’avons eu aucun financement pour le produire… » Aujourd’hui les langues se délient, comme le prouve le nouveau livre polémique « Rugby à charges » qui doit sortir le 5 mars prochain…
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