Consensuel. Cette semaine, tout tourne autour des attentats de Paris : sécurité intérieure, politique extérieure, élections régionales, contrôle des frontières européennes. Nos invités ont des approches complémentaires, avec bienveillance leurs points de vue s’enrichissent mutuellement.
Par Laurie Mécréant et Séverine Sarrat
Pas un nuage ce matin, c’est le froid qui règne. Bien au chaud à la brasserie Le Florida, nous attendons Jean-Louis Cesses, retardé par les embouteillages. Dès qu’il arrive, nous entrons dans le vif du sujet avec les attaques de Paris. Le conseiller municipal de La Salvetat-Saint-Gilles déplore la tragédie, « l’outrage abominable » vécu. Pour lui, « on a été marqué dans notre chair » et même si « avec du recul, on s’y attendait », il ne souhaite pas blâmer la police. Il déclare : « je pense très ouvertement que les politiques actuels et précédents ont, pour des raisons de coupe budgétaire que je peux comprendre, complètement occulté et mis de côté les services intérieurs français. » Marc Authamayou acquiesce tout en mettant le doigt sur ce qu’il considère être le cœur du problème. « Notre société n’a jamais su se construire de manière consensuelle. Elle s’est reconstruite à la suite de révolutions, de guerres. On n’arrive pas à anticiper et à avoir de vue prospective ». Or d’après l’avocat, le monde a changé, la mondialisation, internet et les nouveaux moyens de communication ont profondément modifié la façon d’envisager et de traiter les problèmes. « C’est très difficile pour les gouvernants, les institutions quelles qu’elles soient, au niveau français, européen ou mondial, de contrôler leur territoire. » Nos deux interlocuteurs sont d’accord, le monde évolue, la société est en mutation et il y a un manque de réflexion de l’État sur l’exercice de sa fonction régalienne de protection des citoyens.
Pour l’élu salvetain, François Hollande a eu une réaction admirable et efficace sur le plan territorial. « Il a fait ce qu’il fallait en temps et en heure, il a eu la volonté de rassembler l’ensemble des Français. Il n’y a rien à lui reprocher. » Mais en politique étrangère, c’est une autre affaire. « Alors qu’il dictait au monde de ne surtout pas travailler avec Bachar el Assad, l’État islamique (EI) a continué son œuvre, a grandi, la coalition a pris du retard et aux yeux des puissances étrangères, la France perd sa légitimité et son aura internationale. »
« La misère est le terreau de tous les fanatiques »
Le candidat au bâtonnat de Toulouse accuse quant à lui une « politique trop politicienne » et craint que des frappes contre l’EI soient inutiles. « Est-on sûr de détruire ce cancer ? Ça permet juste de montrer qu’on est présent sur la scène internationale et de créer une coalition, une union. » Sur le plan national, il regrette là encore que les mesures soient prises in extremis. D’après lui, il y a des assignations à résidence qui ne sont pas justifiées, « des mesures prises dans l’urgence pas forcément heureuses ». Le conseiller municipal nuance, il se réjouit de la gestion française faite « de façon efficace par rapport à nos amis belges, qui, sous couvert d’une non-prise de risque ont bloqué une capitale européenne. C’est complètement aberrant » ajoute-t-il, « Daech n’aurait jamais imaginé faire une telle chose, ça les sert ». « Ils arrivent finalement à leur but de paralyser notre économie, nos démocraties », surenchérit l’avocat.
L’esprit patriotique est salué par nos deux compères du jour. « Quand je vois des gens de toute culture en France dire que notre pays est le plus beau et brandir le drapeau français, ça me donne espoir » s’enthousiasme JL. Cesses. Mais attention à ne pas glisser vers le nationalisme met en garde l’homme de loi. « Aimer son pays c’est très bien à condition que ce ne soit pas une manière d’exclure. La liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres. Il faut savoir poser des limites. Il ne faut pas que l’état d’urgence aille à l’encontre des libertés. » Pour Jean-Louis Cesses, il faudra peut-être faire évoluer les mentalités : « Il n’y aura pas de risque zéro. On ne pourra pas certifier que les fanatiques, au nom de n’importe quelle cause, ne feront pas d’attentat, c’est impossible. Il faudra vivre avec ça. » Marc Authamayou abonde dans son sens et suggère une piste similaire à celle de son interlocuteur : « de l’entraide et de l’intérêt pour autrui, sans tomber dans l’aliénation. De peur d’être traité de délateurs, les gens se sont refermés sur eux-mêmes, ne préfèrent rien dire lorsqu’ils repèrent des agissements suspects. Je crois qu’il faut sortir de ce schéma-là. »
« Il n’y aura pas de risque zéro. Il faudra vivre avec ça »
La discussion est fluide et nos interlocuteurs accordent facilement leurs points de vue. Nous embrayons sur les élections régionales et cette fois encore, nos invités font un diagnostic semblable : les craintes sécuritaires pourraient malheureusement se traduire par un vote populiste, mais plus que le FN, c’est le PS qui sort renforcé de cette semaine de deuil national selon eux, grâce aux mesures adéquates prises par le gouvernement. « C’est plus facile d’envoyer des armées à l’autre bout du monde, que de remonter la courbe du chômage » estime M. Cesses. Notre spécialiste du droit civil regrette quant à lui que « depuis plusieurs années ces élections soient dévoyées. Les élections locales ne devraient pas sanctionner la politique nationale ». Il estime d’ailleurs que trop de chantiers ont cours en même temps et que la réforme territoriale a été trop rapide, les régions étant très différentes, ce qui ne facilitera pas la tâche des électeurs.
Avant de conclure notre petit déjeuner, nous élargissons la discussion sur le repli identitaire au niveau européen, en évoquant l’épineuse question des frontières. Pour l’avocat toulousain, il ne s’agit pas d’une fermeture. « C’est une limitation du droit d’aller et venir, un contrôle permis par le traité d’Amsterdam. Ce n’est pas la fin de Schengen. » Pour l’élu salvetain, « l’Europe est une bénédiction. Certes, il faut une capacité à gérer les flux migratoires, mais ce n’est pas en bloquant les marchés et le business que ça ira mieux. C’est facile d’interdire aux personnes honnêtes de se déplacer. Le problème c’est que les malhonnêtes trouveront toujours moyen de traverser. » Marc Authamayou appelle lui aussi à un renforcement de l’Union européenne. Pour lui, « la limitation de la liberté de circulation doit être temporaire » et il faut trouver un nouvel équilibre. « Nous sommes considérés comme un eldorado, mais la France et l’Europe ne peuvent pas absorber toute la misère du monde.» Le problème, c’est que « la misère est le terreau de tous les fanatiques » rappelle Jean-Louis Cesses. Le débat pourrait continuer, mais la matinée est déjà bien entamée et il est temps pour chacun de s’en retourner à ses occupations.
MINI-BIOS :
Jean-Louis Cesses
Conseiller municipal de La Salvetat-Saint-Gilles, marié et père de deux filles, il travaille dans l’industrie aéronautique où il s’occupe de la gestion des sous-traitants. Il aime dire qu’il est un homme engagé. En tant que secrétaire général adjoint du parti radical valoisien, il est chargé de redynamiser le parti, « pierre angulaire de l’UDI ».
Marc Authamayou
Ce spécialiste en droit civil est avocat depuis 24 ans, et brigue aujourd’hui le bâtonnat de Toulouse pour l’année 2017-2018. Portant un vif intérêt pour la politique, c’est pourtant dans le monde associatif qu’il s’engage, plus particulièrement dans le bénévolat sportif. Il valorise particulièrement l’athlétisme, un sport propre, selon lui, qui permet aux jeunes de tous horizons de se construire.
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