[Débat de la rédac] Quand la moutarde leur monte au nez !
Indignations. Sur fond de scandale financier et d’évasion fiscale révélés par la presse sous le nom de “Panama papers”, l’actualité nationale se voit monopolisée par le lancement du mouvement “Nuit debout” et par les défilés de mode islamique. C’est sur ces trois sujets que réagissent Manuel Bompard et Julien Rigole.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
Tout comme la pluie en arrivant, impossible de passer au travers des révélations faites par Le Monde concernant la liste de 140 noms de personnalités internationales ayant utilisé des sociétés offshores au Panama pour dissimuler leurs actifs et ainsi s’adonner à une évasion fiscale massive. Pour se faire, une centaine de médias du monde entier s’est coordonnée pour mener une enquête aussi exceptionnelle qu’explosive. En France, ce sont les journalistes du journal Le Monde et du magazine télévisé Cash investigation qui y ont participé. Face à ce scandale planétaire, nos deux invités saluent d’abord le travail des journalistes. « Ils ont mené une enquête pendant plus d’un an sans que rien ne fuite. Ils ont réellement assuré leur rôle », estime Julien Rigole. Toutefois, même s’ils se disent choqués, ils ne sont pas pour autant surpris par les informations lues dans la presse : « Cela fait longtemps qu’une poignée d’individus placent ses fonds hors de portée de l’intérêt général. En 2011, lors du G7, Nicolas Sarkozy et Barack Obama nous avaient pourtant promis que c’était fini », s’indigne Manuel Bompard qui se méfie de la diffusion de listes partielles de noms. Mais son voisin de table a tôt fait de le rassurer : « Les médias voudront bien sûr faire de l’argent sur leurs révélations et les délivreront au coup par coup ! » Mais ce que reproche le secrétaire national du Parti de gauche, c’est « un filtre orienté. Je trouve étonnant qu’aucune personnalité nord-américaine ne soit touchée par cette affaire ! » Il reste donc vigilant et soulève le risque d’une sélection des informations divulguées. Pour Julien Rigole, ce piège est évité par le nombre important d’acteurs dans ce dossier : « Une centaine de médias ont participé à l’enquête et cela garantit une certaine impartialité car si l’un d’entre eux négocie pour taire un nom sur la liste, c’est toute l’affaire qui devient bancale ! » D’ailleurs, les noms qui figurent sur la fameuse liste ne les surprennent pas non plus, « ce qui m’aurait étonné, ce serait que Patrick Balkany n’y soit pas ! » s’exclame Manuel Bompard, amusé
Outre les révélations, l’enjeu reste de savoir comment lutter contre cette évasion fiscale. « Par la coordination des pays », répond Julien Rigole. « Les organisations internationales comme l’ONU pourraient mettre en place une règlementation internationale », confirme le militant du Parti de gauche, « et même, en France, nous pourrions interdire aux pouvoirs publics de travailler avec des établissements bancaires traitants avec les paradis fiscaux ! » Mais ils s’interrogent : les lobbies de la finance ne seront-ils pas plus forts ? « Je pense que l’administration fiscale mènera son enquête, il y a trop d’argent en jeu », explique le vice-président de la JCI Toulouse. Et Manuel Bompard va plus loin : « c’est aux citoyens de mettre la pression. Les élections approchent et les électeurs doivent exiger le suivi de ce dossier. » D’autant qu’un parti politique serait dans la liste, mais suspense… « Ce n’est pas nous », s’exclame le représentant du Parti de gauche, « on n’a pas d’argent ! »
Cette idée de faire des citoyens des gardiens d’une société moralisée est d’ailleurs reprise par les acteurs du mouvement “Nuit debout”, qui occupent chaque nuit, depuis cinq jours, la place de la République à Paris pour dénoncer la loi travail de Myriam El Khomri, mais pas que… « Les revendications ne sont pas claires mais, en substance, ils demandent un nouveau mode de démocratie », analyse Julien Rigole. Ce qui pour Manuel Bompard « est réjouissant au moment où l’on nous explique que les jeunes sont égoïstes et se fichent de la politique ! » Pour le jeune dirigeant, la loi travail n’est donc qu’un prétexte pour un combat plus large, « mais indispensable », l’interrompt Manuel Bompard : « Personne ne croit plus aux règles du jeu, il faut donc les changer, il faut une nouvelle Constitution ! » Mais tous deux attendent de voir comment le mouvement évolue. Toujours est-il qu’il commence à s’organiser et des essaimages naissent en région. « C’est une façon de lancer un cri d’alarme, car contrairement au modèle anglo-saxon où la compétence prime sur l’âge, la France ne laisse pas la chance aux jeunes », déplore Julien Rigole. En revanche, ils ne sont pas d’accord sur la manière d’agir : « Les Français sont un peuple révolutionnaire, inscrit systématiquement dans l’affrontement. Je pense qu’il vaut mieux convier tout le monde à la même table et discuter et ne pas rejeter les idées, simplement parce qu’elles viennent de l’autre », explique le vice-président de la JCI Toulouse. « Justement », bondit Manuel Bompard, « c’est parce qu’il n’y a pas de discussion préalable que les choses dégénèrent. Il ne faut pas prendre le problème à l’envers ! » Ce qu’il manque en réalité, comme le soulignent nos deux invités, c’est un projet à long terme où l’intérêt général prime.
Autre actualité qui prend de l’ampleur, celle de la mode islamique. Des marques de vêtement proposent des tenues destinées aux femmes musulmanes désireuses de respecter les préceptes religieux. « Ce qui me choque ici, c’est le prétexte religieux qui est saisi par les enseignes pour faire de l’argent car en qualifiant ces tenues de “décentes”, cela signifie implicitement que les autres sont indécentes », commente Manuel Bompard, qui met en garde contre la stigmatisation au travers des habits : « la mode n’est absolument pas un facteur d’émancipation ! » Julien Rigole, plus libéral, estime que tout le monde a le droit de s’habiller comme il l’entend, « y compris en suivant la mode islamique ! Ce n’est qu’un processus d’offre et de demande. Si les entrepreneurs les vendent, cela signifie que les clients achètent ! » Lui respecte tous les styles, que l’on parle d’une femme voilée ou d’une autre qui pose nue pour assurer la promotion d’un yaourt, « du moment que la loi est respectée. » Mais cet état d’esprit ne va pas dans le sens de celui du militant du Parti de gauche : « je ne pense pas que tout doit être pensé au nom du principe de l’offre et de la demande. Si les consommateurs souhaitent acheter des produits dangereux pour leur santé, il est du devoir des pouvoirs publics de l’empêcher. » Mais finalement, tout ceci n’est-il pas un non-sujet ? Peut-être répondent nos invités, « mais certains se sont débrouillés pour créer des tensions entre la population et les musulmans ce qui décuple les réactions sur ce genre de sujet », conclut Manuel Bompard… Alors, n’en parlons plus !
Mini-bio :
Manuel Bompard : Secrétaire national du Parti de gauche, cet ingénieur de recherche en mathématiques originaire de la Drôme, s’est installé il y a trois ans à Toulouse. Engagé dès la création de son parti en 2008, il participe activement à la vie politique de la ville rose.
Julien Rigole : Vice-président de la Jeune chambre économique de Toulouse (JCI), il est également responsable grand compte chez Rives Dicostanzo, entreprise spécialisée en logistique. Lui, est pleinement impliqué dans la vie citoyenne de Toulouse et fait partie du Rotaract, clubs rotarien qui réunit les jeunes de 18 à 30 ans, et dont il prendra la présidence l’année prochaine.