Questionnement. L’arrestation de Salah Abdeslam a forcément beaucoup fait parler nos invités de la semaine : Zohra Guerraoui, professeure à l’Université Jean-Jaurès, Antoine Roux, chef d’entreprise, et Guillaume Brouquières, militant LR. Ils se sont également penchés sur le scandale de pédophilie au sein de l’Église catholique et sur les primaires à droite.
Par Séverine Sarrat et Coralie Bombail
Thés, cafés et jus d’orange servis, nos invités se prêtent au jeu des présentations d’usage avant d’entrer dans le vif du sujet. Nous commençons ce débat par le scandale qui bouleverse le diocèse de Lyon et plus largement l’église catholique, suite à des plaintes contre Mgr Barbarin, soupçonné d’avoir couvert des faits de pédophilie. Pour Zohra Guerraoui, cette affaire fait directement écho à un film qu’elle a vu récemment, ‘‘Spotlight’’ : « Cela nous amène à nous interroger sur la responsabilité de l’église, ce phénomène est une réalité, il est très certainement ancien et surgit depuis quelques années, car nous vivons dans une société où les langues se délient », note la professeure d’université en psychologie, qui lance le débat sur le célibat des prêtres. « Est-ce qu’un être humain peut, durant toute une vie, faire fi de la sexualité ? La religion catholique est la seule à imposer l’abstinence et l’église n’a pas l’air de prendre cette question au sérieux », poursuit-elle. « Est-ce qu’il y a davantage d’agressions sexuelles au sein de cette religion que dans une autre ? » se demande Guillaume Brouquières, « mais dès qu’il s’agit de la religion catholique, on ne pardonne rien et toute affaire devient un scandale national. » Une affirmation qui fait réagir Zohra Guerraoui : « Je ne peux pas vous laisser dire ça. Toutes les religions sont prises à partie dès lors que nos valeurs sont heurtées, on voit notamment toutes les questions qui se posent autour de la religion musulmane… Si on se retranche derrière des discours, des postures défensives, on risque de ne pas se poser les bonnes questions. » Le militant républicain, doctorant en droit, précise sa pensée : « Il ne faut pas faire de généralités, et mettre en cause les personnes et non la religion. »
« Il ne faut pas faire de généralités, et mettre en cause les personnes et non la religion » G. Brouquières
Le chef d’entreprise Antoine Roux entre la discussion : « Je n’ai pas le sentiment qu’on tire à boulets rouges sur la religion catholique, mais cette affaire est malvenue alors que le pape essaye de montrer un esprit d’ouverture. » « Le pape ne peut pas ne pas réagir », lance Zohra Guerraoui, « certes, il ne faut pas généraliser, mais ce qu’il ressort des différentes enquêtes est la tendance à couvrir les faits par peur du scandale, les personnes sont mutées à un autre endroit et récidivent. » Même si les faits en question, qui ont été passés sous silence par Mgr Barbarin sont prescrits, « le cardinal est responsable », tranche Antoine Roux, « évoquer la prescription est trop facile, les vies de ces enfants sont brisées même 20 ans après ». En tant que juriste, Guillaume Brouquières ne peut s’empêcher d’intervenir : « Le droit à l’oubli a un sens, le droit de se réinsérer, d’avoir une nouvelle vie, mais l’erreur fondamentale dans ce dossier est d’avoir laissé les personnes en contact avec les enfants », conclut-il.
La justice est cœur de notre deuxième sujet : l’arrestation du terroriste présumé Salah Abdeslam en Belgique, soupçonné d’être l’un des instigateurs des attentats de Paris. Au moment où nous engageons la conversation, un voisin de table nous interrompt pour nous informer des attentats qui venaient d’avoir lieu, en ce mardi matin. Si cette arrestation avait au premier abord pu conférer un « sentiment de sécurité », voire un « soulagement pour la population », comme l’ont remarqué nos invités, la réjouissance a été de courte durée. « Le gouvernement belge avait prévenu que le risque d’attentats était renforcé », note Antoine Roux. « On en arrête un et dix sortent du bois, il faut stopper le problème à la source », poursuit Guillaume Brouquières. La discussion se poursuit sur le phénomène de radicalisation des jeunes. « Un long processus », pour Zohra Guerraoui, qui tente de retracer l’historique du phénomène : « Jusque dans les années 90, les guides à la prière étaient des personnes reconnues par la communauté pour une certaine sagesse, qui relevait plus de la religiosité que de la religion à proprement parler. Ce qui a permis aux enfants de la deuxième et troisième génération de s’opposer à leurs parents en voulant leur montrer ce qu’était la ‘‘vraie religion’’. C’est comme ça que sont nés les premiers mouvements salafistes qui ont imprégné les cités. » Elle refuse en revanche de parler de « démission des parents » : « Ils n’ont jamais démissionné, mais ils ont perdu toutes crédibilités aux yeux de leurs enfants et se retrouvent désemparés. »
« Il faut s’interroger sur les causes profondes de cette radicalisation plutôt que sur les mesures » A. Roux
Que faire aujourd’hui pour lutter contre la radicalisation ? « Il faudrait arrêter les financements extérieurs des mosquées, notamment en provenance d’Arabie Saoudite, mais on pourrait aussi proposer aux Imams et à tous les religieux d’ailleurs, des formations universitaires pour apprendre à transmettre la religion dans le respect de la République », suggère Guillaume Brouquières, qui reconnait néanmoins que « beaucoup de terroristes ne se pas radicalisent dans les mosquées, ce sont souvent des jeunes en détresse, qui gravitent autour des mosquées et qui sont repérés puis façonnés ». Sur ce point, Antoine Roux acquiesce : « Les jeunes qui veulent se radicaliser ne vont pas à la mosquée, on les trouve ailleurs, sur internet ; il faut s’interroger sur les causes profondes de cette radicalisation plutôt que sur les mesures, il faut revenir sur la guerre d’Algérie, sur le fait que nous vivons dans une société de plus en plus raciste, sur la problématique de l’accès à l’emploi… » développe-t-il. « Parler de tout cela serait déjà le début d’une solution », confirme Zohra Guerraoui. Un vaste débat qui ne peut se poursuivre le temps d’un petit déjeuner…
« Limiter le temps politique permet aux politiques d’être plus en phase avec la société » Z. Guerraoui
Avant de libérer nos invités, nous abordons un dernier sujet qui a retenu notre attention : la déclaration de Nicolas Sarkozy, qui souhaiterait annuler la loi sur le non-cumul des mandats en cas de réélection en 2017 (si toutefois, il est le candidat choisi par les primaires de la droite en novembre prochain). Guillaume Brouquières, qui est le référent jeune de la campagne d’Alain Juppé en Haute-Garonne, se lance en premier : « Avec toutes les difficultés que connait le pays, la seule chose à laquelle il pense c’est le cumul des mandats ! Ce ne sera pas la priorité en mai 2017 et cela contribue au désamour des Français pour la classe politique. » « C’est très maladroit », enchaîne Antoine Roux, qui voit en cette déclaration « du clientélisme de bas étage pour s’attirer l’appui des députés ». Au-delà du cumul des mandats, Zohra Guerraoui s’interroge sur « la professionnalisation des politiques, sur le renouvellement des idées et de la gouvernance ; dans les pays scandinaves, le temps politique est limité, ce qui permet aux hommes et femmes politiques d’être plus en phase avec la société ». Et aux citoyens d’être plus en phase avec leurs élus ? La question reste ouverte.
Mini bios
Zohra Guerraoui : Enseignante-chercheuse en psychologie interculturelle à l’université Toulouse Jean-Jaurès, Zohra Guerraoui est spécialisée sur les questions d’identité de manière générale, que ce soit autour des problématiques de genre ou de religion, par exemple.
Antoine Roux : Chef d’entreprise à la tête d’un groupe d’imprimerie, Antoine Roux a créé le pure player Print O’Clock en 2008 qui propose un service d’impression en ligne de toutes sortes de supports marketing.
Guillaume Brouquières : Doctorant en droit et élève avocat, Guillaume Brouquières est également militant Les Républicains et référent Haute-Garonne des Jeunes avec Juppé, dans le cadre de la campagne des primaires à droite.
Commentaires