Le Journal Toulousain va à la rencontre de Français expatriés au quatre coins du monde pour qu’ils nous racontent comment ils y vivent l’épidémie de Covid-19. Après l’Inde et le Brésil, direction Dakar au Sénégal, où le Toulousain Ianis Proal travaille dans l’humanitaire depuis près de 10 ans.
Quelle a été la chronologie des événements au Sénégal depuis l’arrivée de l’épidémie, il y a plus d’un an ?
Ici, il y a un repère marquant pour dater le début de l’épidémie puisque le premier décès au Sénégal lié à la Covid a été celui de Pape Diouf (ancien président du club de foot de l’Olympique de Marseille, ndlr). Cela a provoqué une sorte de prise de conscience du fait que cela n’arrivait pas qu’aux pauvres et pas non plus uniquement dans les autres pays. Ensuite, les mesures ont été alignées sur celles prises en France : fermeture des frontières, interdiction des voyages entre les régions. Les autorités ont été très réactives, il n’y avait alors même pas 100 cas de Covid au Sénégal.
Y a t-il eu un confinement strict comme en France ?
Non, il y a eu très vite un couvre-feu et les mêmes fermetures qu’en France avec le principe de commerces essentiels ou non. Mais il a toujours été possible de se déplacer en journée, même s’il n’y avait pas grand monde dans les rues durant la période d’état d’urgence, de mars à juillet 2020. Ensuite, quand la deuxième vague est arrivée en novembre, les mesures ont été moins contraignantes. La population n’était pas prête à accepter des conséquences politiques, sociales et économiques qui auraient été bien plus fortes que l’impact sanitaire. Il y a eu globalement peu de morts au Sénégal par rapport au nombre d’habitants.
«L’épidémie a été prise très au sérieux mais en restant intelligent»
Quel regard portez-vous sur cette gestion de crise ?
J’ai l’impression que l’épidémie a été prise très au sérieux, avec des mesures contraignantes rapidement mises en place, mais en restant intelligent. Les autorités savaient qu’elles n’auraient jamais réussi à faire respecter un confinement total. Il y a eu une volonté d’éviter une trop forte casse sociale, même si cela n’a pas empêché de grosses difficultés économiques et la colère des Sénégalais qui ont manifesté à plusieurs reprises. Après, sur le plan sanitaire, difficile de dire si le fait d’avoir relativement bien maîtrisé la circulation de la Covid est liée à la gestion de l’épidémie ou à d’autres facteurs, comme le fait que le Sénégal a une population jeune et avec très peu de comorbidités.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Honnêtement, depuis le mois de mars, c’est comme si la Covid n’existait plus. On n’en parle plus, il y très peu de cas, tout est rouvert. Pareil pour le masque, je ne sais même pas s’il est encore obligatoire, mais aujourd’hui très peu de personnes le portent encore. La seule contrainte qui reste est la fermeture des frontières pour les non-résidents.
«Très peu de Sénégalais souhaitent se faire vacciner»
Comment se passe la vaccination ?
Les doses sont arrivées très tôt avec le vaccin Covax de l’OMS et la vaccination a rapidement été ouverte à tout le monde. Tous ceux qui ont voulu être vaccinés ont pu l’être, y compris les réfugiés issus d’autres pays africains. C’est aussi dû au fait que très peu de Sénégalais souhaitent se faire vacciner. Il y a une grande défiance, mais pas forcément comme en France avec des théories un peu complotistes. Les gens se disent tout simplement que ce n’est pas pour eux. Il n’y a pas véritablement de grand débat public sur le sujet. Dès le début de la crise, le Sénégal a massivement traité les patients avec la chloroquine. Il faut dire que le professeur Raoult est une sorte de Dieu vivant ici ! Il est né à Dakar et collabore encore beaucoup avec le pays. Et puis la chloroquine est bien connue ici, notamment contre le paludisme. En revanche, je suis incapable de dire si cela a réellement fonctionné ou non.
Comment est perçue la gestion française de la crise par les Sénégalais ?
De manière générale, ils sont assez choqués par la façon dont l’épidémie a été gérée en Europe. J’ai eu beaucoup de discussions où les gens me disaient qu’ils ne comprenaient pas pourquoi on mettait un pays sous cloche pour protéger les personnes âgées alors qu’en temps normal, on sous-traite le vieillissement en les envoyant massivement en maison de retraite. Ce qui n’est pas du tout la culture ici. Ils se demandent pourquoi, tout d’un coup, les vieux deviennent si vulnérables au point de sacrifier la jeunesse, alors qu’on s’en désintéresse le reste du temps. C’est une question à laquelle je n’avais même pas songé.
«L’Afrique est en permanence soumise à des gestions d’épidémies»
Quelles différences entre nos deux pays a révélé la pandémie ?
Par rapport aux retours que j’ai eu de la France, ce qui m’a marqué, c’est qu’il y a eu beaucoup moins de peur ici. Au Sénégal, et de manière générale en Afrique, la Covid, finalement, n’est pas un enjeu si important. L’Afrique est en permanence soumise à des épidémies : paludisme, choléra, Ebola, rougeole… Du coup, il existe une compétence de gestion de crise avec très peu de moyens qui est impressionnante. On sait gérer des patients en masse et les prioriser, il y a une grande expérience avec de nombreux épidémiologistes reconnus. La Covid a été vécue comme tant d’autres épidémies. Et je ne pense même pas qu’elle fasse partie des risques les plus importants pour les Africains. Cela remet les choses en perspective. J’ai l’impression que les dommages sont beaucoup plus forts en France, non seulement en terme de décès, mais aussi sur le plan psychologique. À chaque fois que je suis retourné en France depuis plus d’un an, j’ai trouvé cela très dur. Moi, je n’ai pas connu de confinement et je ne peux pas imaginer ce que l’on ressent. Même au plus fort des contraintes, il y avait toujours ici un petit bar de quartier ouvert un peu clandestinement et plus ou moins toléré. C’est de la débrouille mais aussi une forme d’intelligence collective.
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