[Dej-débat] Comme une arête en travers de la gorge ?
Défiance. Suite au faux bond de notre troisième invité, nous avons assisté à un débat viril mais correct entre Philippe Motta et Gabriel Robin. Même si les divergences étaient palpables, certains sujets abordés ont obtenu l’unanimité, à leur grande surprise, de François Hollande aux migrants, en passant par l’affaire Morano/Bedos.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
En terrasse, un verre de vin blanc à portée de main, tout semble paisible et cordial mais c’était sans compter sur la verve de nos deux invités du jour. Sitôt les présentations faites, Philippe Motta et Gabriel Robin expliquent mutuellement leur façon de penser, posant ainsi les jalons d’un débat houleux : « Je ne me positionne pas selon les factions politiques, je m’en tiens aux faits. Pour moi il existe deux vérités pour chaque événement », précise le journaliste, ce que valide le politicien : « c’est vrai ! Le problème est que vous n’appliquez pas ce constat aux idées du FN, l’accusant de n’en défendre qu’une. » Les assiettes de saumon arrivent à point nommé pour détendre l’atmosphère et resituer le débat.
François Hollande était à Vesoul pour annoncer des mesures en faveur de la France rurale : installation de médecins, meilleure couverture numérique en zone rurale… Mesures nécessaires pour nos convives mais « il ne s’agit que d’un pansement sur une jambe de bois » pour Gabriel Robin, « un os à ronger qu’on a donné au chien », poursuit Philippe Motta. Car si le président s’attaque au problème, il ne le prend pas à la source, souligne le journaliste : « Il faut admettre que l’agriculture d’aujourd’hui n’est pas celle dont nous avons besoin. Les exploitants voudraient pouvoir vivre de leur propre production, sans subventions mais ce n’est pas le cas ! » Son vis-à-vis, racontant une anecdote sur sa tante éleveuse d’agneaux, précise à son tour qu’il est aujourd’hui impossible pour un agriculteur français de concurrencer les produits étrangers : « il faut des mesures de fond, comme permettre aux céréaliers de pouvoir ressemer leur propre récolte, imposer aux collectivités locales d’acheter Français, car la PAC ne peut pas tout.» Pour le militant FN, le traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) est principalement responsable de cette situation, la concurrence étant biaisée par l’ouverture de marchés à des pays beaucoup moins normatifs et normés que la France. Mais Philippe Motta désigne un autre responsable : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui « ne veut pas remettre en cause les modes de production, pourtant c’est bien là qu’est le problème. Les agriculteurs bio s’en sortent mieux que les autres mais que peuvent-ils contre une concurrence venue de Roumanie qui casse les prix et ne se soucie pas d’hygiène ? » En revanche, pour nos deux invités, consensus total sur le rôle tendancieux de la grande distribution, la défense des circuits courts et l’incapacité des Verts à peser dans le débat public : « Ils ne sont pas un parti de pouvoir et leur formation est une véritable pétaudière ! » lance Philippe Motta, rejoint par Gabriel Robin : « ils proposent l’alternance mais aucune alternative. Nous, oui. » Mais le journaliste saisi la balle au bond et reproche au FN de vouloir couper la France de l’Europe, et ainsi les aides que les agriculteurs ont pour l’instant besoin !
« Ce ne sont pas des réfugiés mais des immigrés clandestins ! » Gabriel Robin
En parlant d’Europe, l’accord concernant les réfugiés est mis sur la table… de même que les crèmes brulées et les panas cottas servies par La Table du vigneron. A l’énoncé du sujet, Gabriel Robin nuance : « ce ne sont pas des réfugiés mais des immigrés clandestins ! » ce qui fait immédiatement bondir Philippe Motta sur sa chaise. « Allez dire ça aux immigrés algériens qui se sont fait jeter dehors ! » explose-t-il, coupé par son voisin de table : « ça n’a rien à voir, eux étaient Français ! » Le journaliste dénonce alors une hypocrisie sémantique qui le conduit à préciser ses propos : « Un clandestin se cache et ce n’est pas leur cas. Ils sont chassés par une dictature, ils n’ont pas choisi de fuir mais il est normal que ça ne vous choque pas, vous dont le parti alimente le culte du chef, ne tolère pas l’opposition et pratique le financement illégal… » Le jeune politique, lui, poursuit son idée en expliquant qu’en pleine crise économique, accueillir tous les immigrés serait du suicide. Et de rajouter : « Combien de Coulibaly ou de Kouachi dans les bateaux de migrants ? On les logerait aux frais de la princesse alors que de nombreux Français n’ont pas de toit sur la tête », insistant ainsi sur la préférence étrangère. A ces propos, Philippe Motta oppose des chiffres : « 1.2 millions de réfugiés syriens seraient au Liban quand la France n’en accueillerait que 27 000. Cela représente moins de 9 000 familles à répartir sur 36 000 communes »… « Faux », reprend le représentant du FN, « on parle de 77 000 logements mis à disposition ! » Mais ce chiffre représente en réalité le nombre de logements vacants recensés.
« La France ne s’est-elle pas construite sur un brassage ? » Philippe Motta
Gabriel Robin reprend alors le chiffre initial de 27 000 tout en prédisant qu’il ne s’agit que du début, « combien vont arriver ensuite ? » Une énumération des propositions frontistes s’en suit, à savoir l’immigration zéro, le raccompagnement des migrants aux frontières, l’arrêt des aides type AME… « La France ne s’est-elle pas construite sur un brassage ? Vous oubliez un peu vite d’où vous venez ! A Toulouse même ! Notre ville a accueilli 17% de sa population lors de l’exil républicain espagnol en 1939… et nous n’en souffrons pas ! » Mais pour son vis-à-vis, « c’est là qu’est l’hypocrisie », l’immigration n’étant pas la même, mettant à la fois en évidence la différence culturelle des migrants d’aujourd’hui… et fin au débat.
C’est finalement autour d’un café qu’ils aborderont le dernier sujet : Guy Bedos a été relaxé dans le procès qui l’opposait à Nadine Morano après l’avoir traitée de « Salope ». Pour nos invités, il s’agit là d’une invective, sans intérêt, qui n’a plus rien à voir avec l’humour. « Si elle n’avait pas porté plainte, personne n’aurait été au courant », estime Philippe Motta. La question initialement lancée lors des attentats de Charlie Hebdo refait surface, a-t-on le droit de rire de tout ? Pour Gabriel Robin, non : « la liberté d’expression maximale mais pas totale ! » Quelle que soit leurs idées sur la question, ils s’accordent une nouvelle fois, sur « l’effet tweet » où un mot lâché a été monté en mayonnaise à cause des réseaux sociaux et des médias. Et, l’heure tournant, c’est donc sur un avis commun que se séparent nos deux invités… qui l’aurait cru !
Mini bios
Gabriel Robin : militant du FN depuis un an et demi, « mais souverainiste depuis longtemps », Gabriel Robin est secrétaire général du Collectif culture du Front national. Il était candidat aux dernières élections départementales en Haute-Garonne, sur le canton 10. Notaire de métier, il écrit notamment pour le site Boulevard Voltaire.
Philippe Motta : Journaliste, Philippe Motta a été le correspondant local de nombreux grands titres nationaux. Toujours passionné d’information, il surveille l’actu avec un œil critique. Il est l’auteur de plusieurs romans dont ‘‘Servir l’oubli’’ et ‘‘Les yeux’’ (Ed In’8), mais aussi artiste-sculpteur à ses heures.