Parfumeuse à Toulouse, où elle dirige sa société « Mon parfum ma signature », Sylvie Roubach est une praticienne spécialisée en thérapie olfactive. Avec l’épidémie de Covid-19, le nombre de patients souffrant de troubles de l’odorat a explosé. En effet, ces troubles font partie des symptômes prolongés chez les personnes qui ont été atteintes par le virus. Sylvie Roubach nous livre le récit de son travail, dont les fruits apportent un espoir de rééducation pour les patients.
Vous êtes parfumeuse de formation. Comment en êtes-vous venue à la thérapie olfactive ?
Je voulais donner du sens à ma passion des odeurs et des parfums, et je me suis inscrite à la formation OSTMR avec le Docteur Olga Alexandre et l’École Supérieure du Parfum de Paris. Cette formation propose une rééducation à partir d’une stimulation olfactive qui se base sur la mémoire olfactive. Je suis aujourd’hui praticienne spécialisée en thérapie olfactive et cela ouvre un nouveau volet dans ma vie de cheffe d’entreprise. J’ai pu échanger avec des intervenants passionnants comme Roland Salesse, qui a créé l’unité de neurobiologie de l’olfaction à l’INRA, ou Annick Le Guérer, une chercheuse spécialiste dans le domaine des odeurs, des senteurs et des parfums. Par ailleurs, je me forme en neuroscience avec le Docteur Régine Zekri-Hurstel, qui est neurologue à Toulouse.
« Un protocole basé sur les stimulis, sur votre mémoire autobiographique et votre vécu »
En quoi consiste votre travail de thérapie olfactive appliquée aux malades de la Covid ?
Le protocole de prise en charge du Docteur Olga Alexandre, qui est neuropsychiatre et biochimiste, combine rééducation des troubles quantitatifs (anosmie, hyposmie et hyperosmie) et accompagnement des troubles qualitatifs (parosmie et phantosmie). L’accompagnement de rééducation de l’odorat se conçoit sur 12 à 14 semaines. A la première séance, je propose un test d’olfactométrie afin de mesurer le seuil de perception, et un questionnaire visant à établir la cartographie des symboles olfactifs (souvenirs dans le passé et le présent). Les premières séances sont hebdomadaires, ensuite elle s’espacent tous les 15 à 21 jours. Je me base sur les besoins individuels de chaque patient en respectant leur rythme, car il faut prendre en compte l’état de fatigue plus ou moins importante post Covid. Pour cette rééducation, je me sers d’une palette de 80 stimulis olfactifs. Je travaille sur la visualisation, la verbalisation et les souvenirs olfactifs agréables. Je vais donc nommer l’odeur, lui donner une couleur, la décrire et ensuite travailler avec le patient sur son souvenir. Du moment qu’une personne a senti une odeur, elle intègre la partie lymbique du cerveau, un endroit où sont stockés les émotions et les souvenirs. Le protocole est axé sur la proposition de stimulis individualisés basés sur votre mémoire autobiographique et votre vécu.
Quels sont les différents troubles de l’odorat que rencontrent les patients ?
L’anosmie est la perte totale de l’odorat. L’hyposmie en est une diminution, l’hyperosmie une augmentation. La parosmie désigne la perception d’une odeur jugée désagréable, alors qu’elle était jusqu’alors perçue comme agréable. Enfin, la phantosmie est une hallucination olfactive, c’est-à-dire la perception erronée d’une odeur : il n’y a aucune molécule odorante dans l’environnement, mais le patient en perçoit une.
« On dénombre une perte de l’odorat chez 85,9% des patients atteints d’une forme légère de Covid-19 »
A ce stade de la propagation du virus de la Covid-19, peut-on faire un état des lieux sur ses répercutions sur l’odorat ?
Les patients en post Covid-19 sont majoritairement atteints d’anosmie, avec 20% de phénomène de phantosmie. Selon une étude menée dans 18 hôpitaux européens entre mars et juin 2020, on dénombre aujourd’hui une perte de l’odorat chez 85,9% des patients atteints d’une forme légère de Covid-19. 54% de ces personnes récupèrent leur odorat dans le mois suivant et environ le quart d’entre elles déclarent ne pas avoir récupéré l’odorat après 60 jours.
« Une perte de repères »
Avez-vous noté une hausse de la demande de la part des patients toulousains ?
J’observe une forte demande de renseignements et de consultations. Les gens ont découvert le mot « anosmie » avec cette crise sanitaire. Souvent, face à des troubles de l’odorat, le médecin traitant dit de ne pas s’inquiéter, que cela va revenir. Dans le meilleur des cas, il envoie consulter un ORL. Quand les gens sont anosmiques depuis plus de 2 ou 3 mois, ils commencent à s’inquiéter ; l’angoisse et le stress augmentent. Ils tentent parfois une auto-rééducation comme ils peuvent, sans réel accompagnement ou personnalisation. Pour un rendez-vous chez l’ORL, il y a 4 à 6 mois d’attente en moyenne. Une mère de famille m’a contactée il y a peu : elle redoutait de donner à ses enfants en bas âge des aliments avariés, de trop saler ses plats, ou angoissait à l’idée de ne pas sentir le danger d’une fuite de gaz ou la fumée d’un éventuel incendie. C’est une perte de repères : on ne peut plus sentir l’odeur de son enfant, on craint de sentir mauvais alors que l’on prend plusieurs douches par jour. Les gens réalisent l’importance de ce sens. L’odorat est un sens de plaisir et il permet aussi de nous alerter des dangers.
« La rééducation est un travail de tous les jours, qui implique de la patience et de la rigueur »
Pouvez-vous quantifier les résultats de votre thérapie olfactive sur les patients ?
Avec la méthode OSTMR, mes patients et ceux de mes collègues recouvrent l’odorat à 95%. Le processus est plus long pour les professionnels de la parfumerie ou les œnologues car dans ces métiers, le plus dur est de retrouver toutes les facettes d’une odeur. Pour exemple, un parfumeur doit être capable de reconnaître une rose de Damas, qui sera différente de celle de Grasse. Une personne qui n’est pas du métier n’appréhende pas forcément ce genre de subtilité. La rééducation est un travail de tous les jours, comme un musicien qui doit faire ses gammes. Il faut de la patience et de la rigueur, c’est pour cela qu’un accompagnement est nécessaire.
Avec la Covid, l’anosmie est plus que jamais d’actualité. La prise en charge de ce handicap vous semble-t-elle, de manière générale, adéquate et suffisante ?
Je pense que la perte d’odorat post Covid-19 a fait prendre conscience que c’est un réel handicap. Une écoute est primordiale, les médecins de ville doivent être un relais avec des centres ORL comme celui qui existe à l’hôpital Larrey à Toulouse. Il ne faut pas prendre à la légère une diminution ou une perte de l’odorat. C’est un sens essentiel à la vie, et il faut en prendre soin.
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