Dubitatifs. Le projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri, la crise qui touche les agriculteurs et la cérémonie des Césars… Autant de sujets qui peuvent sembler différents mais auxquels Jean-Nicolas Piotrowski et Antoine Maurice ont trouvé un point commun : la nécessité de changer de modèles.
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
Attablés au premier étage du Télégramme, nos deux invités du jour se lancent immédiatement dans le vif des sujets, impatients de livrer leur point de vue sur les différentes polémiques nationales du moment. Sans attendre la carte des menus, nous partons donc dans les affres politiques en abordant l’épineux dossier du projet de loi El Khomri concernant la réforme du Code du travail, que Jean-Nicolas Piotrowski juge indispensable : « Les entreprises françaises sont en concurrence au niveau international, il est donc nécessaire de leur accorder de la souplesse pour leur permettre d’être compétitives. » Une fois ce constat évoqué, il nuance ses propos en rappelant que ces mesures ne concernent que les grandes entreprises, « les PME ne s’en trouveront que peu impactées », les propositions de la ministre du Travail concernant la limitation du coût des condamnations prud’homales par exemple, ne générant ni emploi ni développement des marchés. La vision de ce chef d’entreprise vient se heurter à celle du salarié, incarné par Antoine Maurice : « N’oublions pas que le Code du travail a été élaboré pour protéger les employés, subordonnés par définition à leur employeur. Sa refonte ne résoudra pas le problème du chômage et fera perdre des droits aux salariés. » Les uns attendent donc que la réforme libère les embauches, quand les autres y voient un danger pour leur condition de travail. Mais Jean-Nicolas Piotrowski de préciser : « l’objectif n’est pas de dresser les uns contre les autres mais de permettre que chaque entreprise puisse fonctionner de la manière qui lui convient le mieux, chefs d’entreprises comme salariés. » Il n’hésite pas à faire part de son expérience personnelle : « Dans ma société, nous avons, tous ensemble, tenté de mettre en place les RTT mais nous avons dû abandonner l’idée car le Code du travail rendait la chose trop compliquée ! »
« La PAC conduit à une surproduction censée être exportée mais dont personne ne veut » Antoine Maurice
Mais Antoine Maurice reste catégorique : « Cette loi va mettre le travail à rude épreuve en culpabilisant les salariés au nom du chantage à l’emploi ! Les accords des entreprises prévaudront sur le droit du travail, comment garantir alors un minimum de sécurité pour les employés ? » Mais une prédiction sur laquelle nos deux invités parviennent à se mettre d’accord : cette loi ne créera pas d’emploi ! Toutefois, pour le chef d’entreprise, « la démarche reste intéressante tout simplement parce qu’elle a l’avantage d’exister. Les choses bougent ! » Lui, semble plutôt optimiste à la suite de ce frémissement en faveur de la flexibilité, mais il va plus loin et appelle à une réinvention de l’économie et de la représentation en entreprises : « Nous ne pouvons plus continuer à fonctionner sur des modèles des années 1960 qui ne marchent plus ! » En revanche, il n’en est pas de même pour son voisin de table qui rappelle l’inefficacité des baisses de charges qui ont eu lieu dans le passé et prône plutôt « la réduction du temps de travail à 32h… mais ce n’est pas la direction que prend le gouvernement. » Mais alors, ce dernier aurait-il amorcé un virage à droite, celui-là même que dénoncent les frondeurs du PS ? « C’est bien la preuve que le système politique, comme économique, date d’un autre temps : on ne distingue plus la droite de la gauche ! » s’exclame Antoine Maurice, « depuis 30 ans, tous fantasment sur la croissance et la seule différence réside dans la façon de s’en partager les richesses. Mais que faire quand cette croissance est nulle ? » La réponse de Jean-Nicolas Piotrowski est sans concession : « La croissance ne se décrète pas, en revanche, on peut faire en sorte de créer un climat, un environnement qui la rende possible ! »
Et quand le deuxième sujet pointe le bout de son nez, à savoir le ras-le-bol des agriculteurs, le constat est le même : « il existe une concurrence féroce à l’international et la capitalisation dans les entreprises agricoles françaises ne cesse de baisser. Tout ceci était prévisible mais personne n’a levé le petit doigt, pas même les organisations représentantes des agriculteurs… » estime le directeur d’ITrust, poursuivant : « il leur a été demandé de s’endetter pour assurer une production intensive et les voilà maintenant noyés sous les dettes sans pouvoir vendre leurs marchandises ou à perte ! » Là aussi, il faut pour lui penser une nouvelle économie, raccourcir les circuits de distribution pour court-circuiter les grands distributeurs. « Ce système est à bout de souffle », confirme l’élu écologiste, « la PAC conduit à une surproduction censée être exportée mais dont personne ne veut. »
« Nous ne pouvons plus continuer à fonctionner sur des modèles des années 1960 » Jean-Nicolas Piotrowski
Pour lui, ce sont les lobbies qui restent les principaux responsables, alors « que les politiques français aient maintenant le courage de se dresser contre eux et de faire changer cette politique européenne aberrante. » Tous regardent et commentent un système qui explose sous leurs yeux, sans rien faire, aux dires de nos invités du jour. « Pourtant, la France dispose d’un poids considérable sur les directives européennes concernant l’agriculture et nous pourrions facilement faire évoluer les choses ! » regrette Antoine Maurice.
Autre domaine où la France dispose d’une certaine influence : le cinéma. Mais, là encore, les films français en ont-ils suffisamment pour concurrencer les blockbusters américains ? Les Césars, qui ont eu lieu la semaine dernière, ont-ils autant d’importance que les Oscars, organisés deux jours plus tard ? « Effectivement, en France, nous ne réalisons pas de films dans lesquels les voitures se transforment en robots… Notre cinéma est plus spirituel », observe Jean-Nicolas Piotrowski qui avoue regarder la cérémonie pour les performances humoristiques des présentateurs. Le 7e art français a cela de particulier qu’il est réputé « pour être engagé, pour soulever des questions, pour analyser la société », comme le rappelle Antoine Maurice, fier de cette caractéristique… vite ramené au pragmatisme par notre chef d’entreprise du jour : « C’est honorable… mais cela ne fait pas vendre. Nous avons la fâcheuse tendance à nous auto congratuler, mais nos films s’exportent mal… » Bien obligé de constater que le meilleur exemple de film français à avoir été adapté aux États-Unis reste Les Visiteurs, « qui n’est pas une franche réussite ! » déplore l’élu écologiste. Une question vient alors aux lèvres de nos invités, comment se fait-il que la nation qui a inventé le cinéma (la France) ne soit pas première en la matière ? La réponse est simple pour Jean-Nicolas Piotrowski : « Les États-Unis disposent d’un marché colossal par leur simple population, tournent en anglais, une langue universelle, et injectent beaucoup plus de financements. » Pour lui, nous devons parvenir à commercialiser notre culture, mais Antoine Maurice l’interrompt en se demandant « si tout doit être générateur d’argent ? La culture n’est-elle à part, pas que dans le champ économique ? » À méditer.
Mini-bios :
Antoine Maurice :Conseiller municipal d’opposition à la mairie de Toulouse, il est aussi président du groupe “Toulouse Vert Demain”, les élus écologistes, et conseiller métropolitain. Après des études de droit, ce juriste de formation a d’abord travaillé au service contentieux d’une mutuelle pour aujourd’hui évoluer au sein du Pôle d’économique solidaire Périscope, « un milieu professionnel plus en adéquation avec mes valeurs ».
Jean-Nicolas Piotrowski : Ingénieur en télécommunication et réseaux informatiques, il travaille au sein d’une banque parisienne avant de créer ITrust, sa propre structure, en 2007, spécialisée dans la cyber sécurité. Il est également le cofondateur du cluster toulousain DigitalPlace et de l’IoT Valley, anciennement Tic Valley.
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