ANALYSE. De nombreux mouvements dits “citoyens” émergent dans l’espoir de faire entendre une parole jugée inaudible par les grosses machines que sont les partis politiques traditionnels. Ils se lancent ainsi dans la course à l’Élysée, mais ont-ils une réelle chance d’y parvenir ?
Utopistes, pas crédibles, farfelus… autant de qualificatifs dont les mouvements citoyens se voient affublés. Pourtant, l’idée que la société peut générer un changement profond par elle-même ne semble pas si abstraite. Certains ont d’ailleurs choisi de se lancer dans la campagne présidentielle avec pour leitmotiv : la souveraineté au peuple. Cette réflexion trouve des échos « dès la fin du XIXe siècle, lorsque des organisations anarchistes et révolutionnaires ont émergé », rappelle Stéphane Baumont, politologue toulousain. Mais il faudra attendre mai 1968 pour que ces mouvements citoyens, qui ne disaient pas encore leur nom, déclenchent une mobilisation populaire. Ce qui séduit ? L’éloignement des politiques dogmatiques pour des considérations du quotidien. Car même s’ils en remplissent les fonctions, ces rassemblements n’ont pas vocation à se constituer en partis. Une nuance que le politologue aime à rappeler car, pour lui, ces groupements issus de la société civile risquent une récupération politique. Ils doivent rester en marge du système politique s’ils veulent rester crédibles auprès de l’opinion publique : « Ils souhaitent représenter l’alternative à l’ordre établi, le terrain et le réel en lieu et place des théories politiciennes. Pour cela, ils ne doivent pas entrer en concurrence avec les partis traditionnels mais proposer justement autre chose. » C’est peut-être cette distance, difficile à tenir, qui reste le principal problème, comme cela a été le cas de l’action lancée par les étudiants en mai 1968, finalement récupérée par les syndicats.
« Le seul moyen de privilégier le peuple est la ‘’reparlementarisation’’ »
Autre aspect qui caractérise ces mouvements citoyens, la volonté de ne pas mettre en avant un homme/femme mais des idées. « Seulement, même s’ils n’ont pas de velléité personnelle dans cette campagne présidentielle, le système actuel est ainsi fait qu’un leader doit émerger pour représenter un mouvement », constate Stéphane Baumont. Un paradoxe pouvant nuire à leur pérennité. Il va même plus loin : « Je pense qu’ils ne devraient pas se présenter à un tel scrutin car s’ils l’appréhendent comme un moyen d’exister, y faire 1% provoque l’effet inverse. Il ne leur reste ensuite que la négociation avec les partis traditionnels qui les phagocyteront. »
Pourtant, contrairement à ce qui semblerait ainsi évident, Stéphane Baumont estime que les mouvements citoyens souhaitant influencer le débat, voire présenter un candidat à la candidature, peuvent y croire. « D’abord parce que le rêve est nécessaire pour éviter le populisme. Ensuite parce que la France garde un passé révolutionnaire. Nous avons toujours préféré la destruction pour une reconstruction que le passage par des réformes. Donner le pouvoir au peuple pour changer une société, c’est ce que prônent les mouvements citoyens… et ce sont des idées révolutionnaires », précise le politologue. Et pour finir, parce que constitutionnellement, rien ne l’empêche… hormis les 500 signatures. Pour rendre possible l’accession d’un simple citoyen au fauteuil présidentiel, le politologue préconise l’instauration d’une VIe République, d’une réorganisation du pouvoir. « Le suffrage universel direct engendre la personnalisation du pouvoir et les dérives qui vont avec. Le seul moyen de privilégier le peuple est la ‘’reparlementarisation’’ », analyse Stéphane Baumont. Le président ne disposerait alors plus des pleins pouvoirs et la représentativité serait respectée. Nul besoin de sortir de l’ENA pour maîtriser tous les dossiers, mais il conviendra de bien s’entourer. Une utopie réalisable en somme.
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