Attentifs. C’est autour d’un petit-déjeuner complet (croissants, cafés, jus d’orange) que Patrick Goddard, Loïc Ferrieu et Stéphane Borras se retrouvent. Une réelle discussion s’engage entre nos trois invités autour du résultat des régionales, de la COP21 et de la revalorisation du SMIC.
Par Myriam Balavoine et Séverine Sarrat
Les conversations vont déjà bon train entre nos trois invités lorsque nous passons commande et lançons notre premier sujet, incontournable. Chacun a suivi, de près ou de loin, les élections régionales qui se sont jouées ces deux derniers week-ends. Quel sentiment laissent-elles à l’issue du scrutin ? Loïc Ferrieu se lance: «Le FN n’a gagné aucune région, il y a eu un sursaut républicain pour ce deuxième tour. Le taux d’abstention reste élevé et la démobilisation pour les autres partis interroge sur leur capacité à rassembler les électeurs».Alors est-ce le FN qui monte en puissance ou les autres partis qui perdent leur électorat ? Stéphane Borras répond: «En politique, ce n’est jamais quelqu’un qui gagne, c’est toujours quelqu’un qui perd. Cette capacité de l’extrême droite à capter la désespérance sociale, on l’a déjà connue». «Il faut que les partis tiennent comptent de la très faible mobilisation. On l’a entendu dans beaucoup de discours, mais dans les faits il ne se passe pas grand-chose»continue Patrick Goddard. Et Stéphane Borras enchaîne: «La gauche et la droite pensent que ceux qui n’ont pas voté auraient voté pour eux, mais ce n’est pas forcément le cas !» Le taux d’abstention est bien réel, et les électeurs FN sont plus que jamais mobilisés. L’expert-comptable poursuit: «Certains ont eu un vote réactionnaire pour marquer leur mécontentement au 1er tour. Par contre, les scores au 2d tour m’ont surpris.» Pour Stéphane Borras, «c’est parce qu’il y a une adhésion nationaliste sans précédent, et elle n’est pas soutenue que par le FN. Le discours sur l’ennemi intérieur de Valls après les attentats, démontre une logique qui cherche cet ennemi dans la masse des musulmans et favorise ceux qui appuient cette théorie. C’est ça que pensent les gens qui votent FN!» Loïc Ferrieu reprend: «Le vote FN est un vote de désespérance politique de la ruralité. Les métropoles montent en puissance et laissent le rural désertifié. Il faut revenir aux fondamentaux». «En politique, le système pyramidal éloigne les gens du concret et les représentants ne sont pas au fait de la réalité. Je prônerais plutôt un mode collaboratif comme celui des start-ups» continue Patrick Goddard.Finalement, tous s’accordent à dire que le résultat de ces régionales ne prédétermine en rien celui des présidentielles en 2017, évoquant tour à tour les différents paramètres extérieurs qui pourraient rentrer en jeu durant ces deux ans à venir.
« Il y a une adhésion nationaliste sans précédent »
C’est au tour de la COP21 d’être décortiquée par nos invités. Sans attendre, le syndicaliste commence: «Que des pays du monde se réunissent au même endroit, au même moment, pour discuter du changement climatique est en soi une avancée politique. Ce qu’ils s’y disent, c’est autre chose.» Patrick Goddard, quant à lui, retient «un succès à deux niveaux: avoir mobilisé 195 pays et réussi à trouver un accord. Il y a une prise de conscience indispensable. Toute notre économie repose sur le pétrole, en pénurie. Soit on décide de tout cramer et les autres feront ce qu’ils peuvent, soit on est intelligent et l’on se demande comment assurer cette transition! On ne peut pas tout passer en énergies renouvelables en claquant des doigts. La mobilisation citoyenne doit continuer pour qu’on puisse avancer dans le bon sens». Loïc Ferrieu ajoute: «Il y a eu un accord malgré la difficulté de la tâche. Il faudra voir si c’est suivi, des points d’étape sont prévus ce qui permettra de faire revenir la question sur le devant de la scène régulièrement. Chacun est acteur dans cette politique. La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas forcément une valeur préemptée par les Verts, mais transpartisane». Patrick Goddard rejoint son voisin de table et considère que «c’est la société civile qui participera à cettetransition énergétique» avant d’ajouter: «J’aimerais revenir sur le rôle primordial que peuvent jouer les entreprises dans cette démarche, notamment en termes de RSE, responsabilité sociétale et sociale des entreprises. Il faut enlever ces clivages entre sociétés purement privées et économie sociale et solidaire».
« Chacun est vraiment acteur dans cette politique environnementale »
Nous passons sans plus tarder à l’ultime sujet de ce petit-déjeuner, la revalorisation du SMIC prévue pour 2016 à hauteur de 0,6%, le minimum légal. «Le chômage est un fléau dans notre société. Les inégalités se creusent. Une dynamique politique idéologique a placé les chômeurs en position de profiteurs, ils sont montrés du doigt. Si l’on n’augmente pas le SMIC, on va continuer cette dynamique mortifère. L’objectif est de renverser le rapport entre capital et travail», argumente Stéphane Borras. Quant à Patrick Goddard, il en profite pour revenir sur la RSE: «Un de ses critères majeurs est de mesurer les inégalités et les diminuer. L’autre élément est un meilleur partage des bénéfices réalisés par les structures. L’idée est de valoriser, non pas que le capital financier, mais surtout le capital humain. Aujourd’hui, il est sacrifié dans beaucoup d’entreprises». «C’est l’accès à l’emploi qui pose problème, il faut donner envie aux salariés et cela passe par la rémunération. C’est en faisant repartir la croissance que les salaires pourront être revalorisés » souligne Loïc Ferrieu. «La croissance des 30 glorieuses n’était possible qu’en période d’après-guerre, car il fallait reconstruire, mais aujourd’hui c’est un mythe La croissance actuelle est normale dans un système capitaliste», poursuit Stéphane Borras. Pour Patrick Goddard, l’allègement de l’impôt sur le revenu proposé par le gouvernement pour compenser la stagnation du SMIC, n’est pas une solution, parce que «tout le monde n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu. Pour moi, c’est une réponse de politicien.» Si Loïc Ferrieu met en avant l’importance du consentement à l’impôt, Stéphane Borras considère que «l’adhésion ne se fera que si les gens pensent que les services publics financés par l’impôt sont utiles». Il appuie ses propos: «Le seul impôt progressif et juste est celui sur le revenu» tout en rejetant l’excuse de la baisse des dotations de l’État avancée par Loïc Ferrieu. Ce qui est sûr, c’est que les Français sont perdus là-dedans et que cet épineux problème n’est pas près d’être résolu. Notre débat, lui, s’achève sur l’échange de coordonnées de nos invités avant que chacun ne reprenne sa route après cette longue parenthèse.
Les bios :
Patrick Goddard
Il est expert-comptable et a créé son cabinet Goddard Conseil à L’Union il y a 4 ans. Aujourd’hui, Patrick Goddard se spécialise en développement durable avec une activité d’accompagnement pluridisciplinaire (banque, assurance, droit) des chefs d’entreprises sur leurs structures. Il est également coauteur du livre ‘’Les clés de la réussite d’une petite entreprise’’, et considère que celles-ci ont un rôle à jouer dans la société, notamment social.
Loïc Ferrieu
Depuis un an, il est l’un des collaborateurs de François Chollet, président du groupe des élus de la majorité à la mairie de Toulouse. Diplômé de Sciences Po Toulouse, il est en charge des relations presse. Loïc Ferrieu s’est investi dans la campagne des Républicains et est membre de la Jeune Chambre Economique de Toulouse.
Stéphane Borras
Assistant social de la protection de l’enfance (ex-ADASS) au Conseil général depuis plus de 20 ans – « Et l’on m’a même décerné la médaille du travail, que j’ai refusé » – il est également membre de l’Union Syndicale Solidaires (dont Sud fait partie).
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