Dans l’inconscient collectif, le jean a été créé par Levi Strauss au XIXe siècle et est donc américain. Mais l’histoire serait tout autre. Le fameux pantalon a en effet aussi vu le jour en France à la même époque. Les descendants de Célestin Tuffery, maître tailleur-confectionneur de village à Florac en Lozère, sont là pour en attester.
Qui n’a pas dans sa garde-robe un jean ? Ce pantalon est aujourd’hui un indispensable. Mais connaissez-vous vraiment son histoire ? La légende voudrait que Levi Strauss en soit à l’origine. Et c’est d’ailleurs ce qu’affirme Wikipédia. Le créateur de Levi Strauss & Co. aurait en effet inventé le jean au XIXe siècle pour les chercheurs d’or. Mais alors comment expliquer que de l’autre côté de l’Atlantique, des ouvriers, notamment des Cévennes, en portaient déjà, comme l’attestent des photos prises à l’époque ? D’autant que les jeans de Levi Strauss n’étaient pas encore exportés en Europe.
Ce vêtement ne serait-il donc pas américain ? Pour le savoir, nous avons pris contact avec l’Atelier Tuffery, cette marque, installée à Florac en Lozère, fabrique et commercialise des vêtements, notamment des jeans, depuis le XIXe siècle également. Et à en croire, Julien Tuffery, à la tête de la marque, Levi Strauss ne peut pas se prévaloir d’être l’inventeur du fameux pantalon. « Le fait qu’il ait créé le jean est ancré dans tous les esprits. Mais cela tient de la mythologie. Le jean n’est pas une invention de Levi Strauss. Elle est celle de nombreux tailleurs qui l’ont créé pour répondre à un besoin », assure-t-il.
Célestin Tuffery est l’un d’eux. « Mon arrière-grand-père était maître tailleur-confectionneur de village à Florac. À la fin du 19e siècle, des dizaines de milliers d’ouvriers sont venus construire le chemin de fer pour permettre la traversée des Cévennes. Autant de personnes qui devaient se vêtir pour le travail manuel. Ils avaient besoin d’un vêtement pratique, facile d’entretien et économique », raconte Julien Tuffery. Comme les fibres locales, telles que le lin, la soie ou la laine, coûtaient trop chères, son aïeul, alors âgé de 17 ans, pense à la toile sergée de Nîmes (qui deviendra le Demin), teintée au bleu de Gênes (qui donnera blue jeans).
« La technique de la toile sergée de Nîmes permet de tisser du coton en grands volumes et de manière mécanisée, mais également de teindre seulement un fil sur deux. On obtient ainsi une toile bon marché puisque moitié moins de colorant est nécessaire. Mon arrière-grand-père s’est mis à s’en servir pour créer des surpantalons », détaille Julien Tuffery. Son ancêtre donne ainsi naissance en 1892 au jean français dans son atelier installé à Florac. « Mais Célestin n’était pas le seul à faire ça, ils étaient nombreux et ce, aux quatre coins de la France », tient-il à souligner.
L’Atelier Tuffery peut toutefois se vanter d’avoir été un pionnier. La maison familiale est en effet l’une des plus anciennes fabrications de jeans en France et va participer à la démocratisation du pantalon dans l’Hexagone. Et c’est Alphonse Tuffery, le fils de Célestin, qui va le permettre. Durant plusieurs années, le jean reste un vêtement de travail. « Il n’avait rien d’esthétique. C’était une sorte de sac pour protéger les travailleurs avec des poches plaquées. Ce qui était d’ailleurs une entorse au style à l’époque puisque les pantalons avaient tous des poches passepoilées », précise Julien Tuffery.
Mais lorsque les années 60 arrivent, le jean quitte le monde du travail et devient une véritable pièce de mode. Tout le monde en veut un et l’Atelier Tuffery, nommé Tuff’s à l’époque, en profite. L’entreprise familiale produit jusqu’à 500 jeans par jour pour répondre à la forte demande. « Le marché textile mondialisé n’existait pas encore. Les jeans fabriqués en France étaient alors les seuls à disposition. Les gens consommaient des produits fabriqués localement. C’était un formidable cercle vertueux que la mondialisation a malheureusement fait voler en éclat », regrette Julien Tuffery.
En effet, dès la fin des années 70, le textile français périclite. Le secteur se délocalise massivement, les entreprises ferment les unes après les autres et les emplois disparaissent. « Le textile français a été ravagé en 20 ans, des années 1980 à 2000 », déplore le descendant de Célestin Tuffery. Mais le petit atelier de fabrication de jeans de Lozère, lui, tient bon. La troisième génération de la famille Tuffery, composée de Jean-Jacques, Jean-Pierre et Norbert, veut en effet faire perdurer le savoir-faire du grand-père. Les trois frères deviennent alors les derniers et uniques fabricants de jeans français.
« Mon père et mes oncles n’étaient pas des businessmen, mais des passionnés. Ils ont donc décidé de garder l’unité de production alors qu’elle était vouée à disparaître », indique Julien Tuffery. Et Jean-Jacques, Jean-Pierre et Norbert ont bien fait puisqu’aujourd’hui le made in France est en vogue. « Personne ne s’y intéressait il y a quelques années. Désormais, les consommateurs cherchent à acheter mieux, moins et en circuit court », souligne celui qui a repris la maison familiale avec son épouse Myriam en 2014 et lui a redonné le nom d’Atelier Tuffery.
Aujourd’hui, l’entreprise confectionne des pantalons, mais également des chemises, des shorts, des jupes, des robes, des tuniques, des vestes ou encore des manteaux pour les femmes et les hommes. Le tout en jean et toujours dans un atelier à Florac. « Cet attrait pour le made in France n’est pas une revanche pour nous, mais plutôt un retour à la normalité », estime Julien Tuffery. La marque, qui crée et fabrique ses vêtements de A à Z, vient par ailleurs d’ouvrir un pop-up store sur la place de la Comédie à Montpellier ce vendredi 9 juin et va disposer d’un tout nouveau site de fabrication en septembre.
« Nous allons passer d’une surface de 600 à 2000 m² pour une montée en production avec la volonté de continuer à valoriser la fabrication française et de s’inscrire dans l’économie locale », annonce-t-il. De pionnier à unique fabricant de jeans français et désormais marque de mode made in France, l’Atelier Tuffery aura vécu en 131 ans toutes les étapes de l’histoire de ce pantalon et ce n’est pas prêt de s’arrêter, selon Julien Tuffery. N’en déplaise à Levi Strauss & Co., le jean n’est donc pas totalement américain. Il a aussi un ancrage certain en France.
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