Peu de gens le savent, mais la Joconde, comme des milliers d’œuvres, a dû quitter le musée du Louvre et l’agitation parisienne pendant plusieurs années. Le tableau de Léonard de Vinci a trouvé refuge dans le Lot, à Saint-Jean-Lespinasse. Une parenthèse discrète dans la longue histoire du tableau le plus célèbre du monde, que Le Journal Toulousain vous raconte.
Elle a un sourire qui cache bien des secrets. Et parmi eux, celui d’avoir passé la guerre planquée… dans un château du Lot. La Joconde, star du Louvre et championne des selfies touristiques, a quitté Paris en catimini en 1939. Et c’est dans le Lot, entre les Causses et les chênes, qu’elle a trouvé refuge.
Une icône mondiale installée à la campagne ? Si l’image prête à sourire, elle raconte un pan méconnu de notre patrimoine, où l’art se joue des conflits et des routes secondaires. Allez, on rembobine.
En 1938, Jacques Jaujard, alors directeur des Musées nationaux, regarde les accords de Munich d’un œil inquiet. Pas dupe des sourires diplomatiques, il pressent ce que beaucoup refusent encore de croire : la guerre est proche. Et avec elle, le spectre des pillages.
Il organise donc un plan d’évacuation XXL des œuvres du musée. Celui-ci est déclenché dès la fin du mois d’août 1939, alors que la France entre officiellement en guerre le 3 septembre, deux jours après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie. Objectif : mettre à l’abri 4 000 œuvres majeures, dont la Vénus de Milo, Le Radeau de la Méduse… et bien sûr la Joconde.
Les œuvres sont emballées, protégées et identifiées à l’aide d’un code couleur : vert, jaune, rouge pour les plus importantes. Pour la Joconde, il y avait trois gommettes rouges ! Une vraie VIP. Des convois quittent le musée parisien, avec des voitures à l’avant, à l’arrière… et même un camion-citerne, en cas d’incendie. Rebaptisée “MNLP n°0”, l’œuvre de Léonard de Vinci voyage dans une caisse spécialement pour elle.
Après un repos de quelques mois au château de Chambord (Loir-et-Cher), l’avancée des troupes allemandes pousse les conservateurs à chercher mieux. Le tableau passe alors notamment par l’abbaye de Loc-Dieu (Aveyron) ou encore le musée Ingres à Montauban (Tarn-et-Garonne).
La Joconde terminera finalement sa cavale dans le Lot. Plus précisément au château de Montal, à Saint-Jean-Lespinasse. Un choix aussi rationnel que bucolique. Le château appartient à l’État depuis le début du siècle, est isolé, peu visible dans le paysage, dispose d’un point d’eau proche et d’extincteurs. Il peut accueillir 1 300 tableaux.
« Plusieurs préoccupations guident Jacques Jaujard : mobiliser des véhicules pour les convois, trouver des lieux assez vastes pour les œuvres de grand format, et de quoi prévenir tout risque d’incendie », raconte le site de Montal dans l’article “Mona Lisa dans sa plus belle cachette”. Et dans cette partie de cache-cache, le château du Lot coche toutes les cases.
Arrivée à Montal, la Joconde est placée au rez-de-chaussée, près d’une fenêtre réaménagée pour rendre possible une évacuation express en cas d’attaque. Un gardien dort même à ses côtés. On ne plaisante pas avec le sourire (s’il s’agit bien d’un sourire) le plus célèbre de l’histoire.
Sur place, les gardiens du Louvre s’installent avec leurs familles. Le conservateur du dépôt de Montal, René Huyghes, organise une surveillance serrée. Il embauche même huit Alsaciens-Lorrains déserteurs de la Wehrmacht, qu’il protège de la loi martiale en leur fournissant de faux papiers de gardien.
« La vigilance est permanente et tous azimuts. Les responsables des différents dépôts partagent et échangent leurs consignes de prudence », raconte le site du château. D’autant que les réseaux de la Résistance veillent aussi discrètement dans les environs.
La Joconde reste à Montal jusqu’en juin 1945. Elle y aura passé deux ans, à l’abri des regards et des bombes. Une discrétion remarquable pour un tableau que des millions de visiteurs observent aujourd’hui derrière sa vitre blindée, dans la salle des États du Louvre.
« Cette présentation exceptionnelle répond aux exigences de sécurité, mais aussi à des nécessités de conservation : l’œuvre n’est pas un tableau peint sur toile, mais sur un panneau de bois de peuplier », précise-t-on du côté du Louvre. Officiellement acquis par François Ier en 1518, exposé depuis la Révolution, il convient de rappeler que le tableau avait déjà été volé en 1911.
Protéger l’art en temps de guerre ? Une mission qui, hélas, reste d’actualité. En Ukraine, depuis 2022, les autorités accusent la Russie d’avoir volé plus de 1,7 million d’œuvres du patrimoine national. Le ministre de la Culture ukrainien, Mykola Tochytskyi, parle de « violation flagrante de toutes les normes du droit international ».
Comme un écho tragique à ce que craignait Jacques Jaujard il y a 85 ans. « Depuis la Première Guerre mondiale et les années trente, nous nous soucions des œuvres en cas de conflit », soulignait encore en 2016 Néguine Mathieux, alors cheffe du service Histoire du Louvre, dans un entretien sur France Télévisions.
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