En Occitanie, 592 sociétés coopératives emploient 7 354 salariés (chiffres 2023) ; en Scop ou en Scic, elles affichent, selon l’Union régionale des Scop, une pérennité supérieure aux entreprises traditionnelles à cinq ans. Rémi Roux, président de l’Urscop Occitanie Pyrénées, nous explique pourquoi. Interview.
Rémi Roux, l’Urscop révèle des chiffres éloquent sur la pérennité des sociétés coopératives. 77% des Scop et Scic d’Occitanie dépassent les 5 ans d’existence, contre 61% pour les entreprises classiques. Comment l’expliquez-vous ?
C’est d’autant plus exceptionnel qu’à la création d’une coopérative, les fondateurs ne disposent pas des financements dont peuvent bénéficier les entreprises classiques, comme celui des Business Angels. Il s’agit souvent de reprises de sociétés par les salariés qui n’ont que très peu de capital. Ainsi, au regard des mises de départ, la longévité devrait être inférieure… Et il n’en est rien, c’est même le contraire. Je pense que tout réside dans le fait que, dans une coopérative, on fait des choix pour assurer l’avenir et pas pour maximiser le profit. On ne prend pas de décisions risquées pour gagner plus d’argent. Nous préférons pérenniser l’outil de travail plutôt que d’essayer de le survaloriser rapidement.
« Dans une Scop, une grosse part des résultats positifs (jusqu’à 50%) est mise en réserve »
Vous dites justement que le profit n’est qu’un moyen et pas un but. C’est d’ailleurs la philosophie des coopératives. Quel est alors l’objectif de ce type d’entreprises ?
Cette philosophie devrait s’appliquer à toute l’économie ! Ainsi, le but d’une entreprise serait uniquement celui de répondre à son objet social, en maintenant ou en créant des emplois. Par exemple, dans ma société Ethiquable, l’objectif est de développer le commerce équitable. Pour la Fonderie Gillet, il s’agit de sauvegarder l’outil de travail et le savoir-faire. Ainsi, on court moins derrière le chiffre d’affaires ou la marge. Dans une Scop, une grosse part des résultats positifs (jusqu’à 50%) est mise en réserve pour protéger l’entreprise des coups durs et une part est distribuée en participation bénéfice aux salariés-sociétaires.
A l’inverse, dans de nombreuses entreprises classiques, l’objet social sert aux propriétaires à valoriser leurs investissements uniquement. Dans certaines, les financiers demandent plus de 10% de rentabilité annuelle, ce qui assèche complètement les finances de ces sociétés et les empêche d’investir dans la R&D notamment.
Les chiffres dont vous faites état, comparent la pérennité des coopératives avec celle des entreprises classiques à 5 ans. Mais, qu’en est-il à 10 ans, ou plus ?
Nous n’avons pas de chiffres précis à plus long terme. Toujours est-il que certaines coopératives existent depuis longtemps ou ont survécu de nombreuses années, à l’image de Scopelec, qui malheureusement a fini par péricliter après 49 ans d’existence. Ou encore la Scop de la Verrerie ouvrière d’Albi, créée en 1895 avec l’aide du député du Tarn, Jean Jaurès. Elle a été liquidée lors de la révolution industrielle, après 80 ans d’exercice. Les coopératives de plus de 10 ans sont nombreuses en Occitanie : on peut citer Citiz, spécialisée dans l’autopartage, qui a 15 ans, ou encore le fabricant de meubles CIMSO (55 ans), l’agence de communication Composer (45 ans), l’entreprise de construction, bâtiment et travaux publics Couserans Construction (30 ans), la Scop Cabrol (10 ans) spécialisée dans les structures métalliques et l’enveloppe du bâtiment, EcoZimut qui accompagne dans la performance énergétique et environnementale des bâtiments depuis 11 ans, la coopérative artisanale de charpentiers-couvreurs La Tournée du Coq (20 ans), et bien d’autres…
« Les statuts des coopératives permettent à tous les sociétaires de disposer d’une voix et aux salariés d’être majoritaires »
Pourtant, vous l’avez dit, lors de la création d’une coopérative, le capital n’est généralement pas très important, ce qui peut fragiliser rapidement l’entreprise. Comment dépasser cette faiblesse ?
La longévité des coopératives est d’autant plus étonnante. Car, malgré ce handicap de départ, les chiffres de survie des entreprises sont bien meilleurs à 5 ans. Cela s’explique. Lorsqu’une Scop est créée suite à une reprise par les salariés, il est aisé de comprendre que tous n’ont pas 50 000 euros à mettre au capital de leur société. Dans le mouvement coopératif, nous disposons d’outils financiers spécifiques à notre statut. Notamment celui de la banque coopérative Socoden, qui finance exclusivement les Scop et Scic. Nous bénéficions également de la possibilité d’émettre des titres participatifs (valeurs mobilières émises par une coopérative qui permet de renforcer les capitaux propres sans modifier la composition de son capital ; ils offrent la possibilité à des personnes ou des investisseurs qui ne sont pas associés, d’apporter des fonds à une société, sans limitation de montant, avec une rémunération définie, NDLR). C’est un peu comme une obligation non convertible, bloquée pendant au moins sept ans par l’entreprise, qui rembourse alors quand elle le veut ou peut. Ainsi, pour les banquiers, c’est du quasi-capital, ce qui les rend moins frileux à l’égard des coopératives.
Autre faiblesse souvent relevée par les observateurs économiques, celle du manque d’expérience des salariés-sociétaires quant à la gestion d’entreprise. Comment les coopératives pallient-elles cette carence ?
Il faut bien comprendre que les statuts des coopératives permettent à tous les sociétaires de disposer d’une voix et aux salariés d’être majoritaires. Ainsi, personne ne peut, au seul prétexte qu’il a apporté plus d’argent dans l’entreprise, décider seul. Ce sont donc les salariés qui désignent leur gérant. Cela peut se faire de plusieurs manières. Si la Scop est créée suite à une reprise ou au départ à la retraite du dirigeant, et si personne n’a les capacités de gérer la société en interne, il est possible de recruter quelqu’un qui assurera cette fonction. Il n’est aucunement imposé que des ouvriers de la Scop ou Scic, la dirigent. Mais si les salariés souhaitent assumer la gestion, l’Union régionale des Scop (Urscop) les accompagne. Nous délivrons des formations pour bien expliquer ce qu’est une société coopérative et quelles sont ses particularités, mais également pour apprendre à lire des comptes, la gestion courante, la budgétisation, les plans de financement, l’élaboration de stratégies commerciales… Dans le cadre d’une transmission, le ou les dirigeants de la Scop peuvent aussi former eux-mêmes leurs successeurs.
Justement, quelle est la proportion de coopératives transmises, reprises par les salariés ou créées de toutes pièces ?
Les reprises d’entreprises en difficulté représentent 6% des créations de coopératives. 62% sont des Scop ou des Scic créées ex nihilo par des porteurs de projets. La cession d’entreprises aux salariés, c’est 15%. Et c’est sur cette dernière qu’il est important de s’arrêter car, aujourd’hui, près d’un tiers des PME en Occitanie sont dirigées par des plus de 60 ans. Ils vont commencer à penser à leur succession. Et la transmission aux salariés, même si elle n’est pas systématiquement possible, reste une option intéressante.
Quel est l’intérêt, pour un dirigeant, de revendre son entreprise à ses salariés ?
Tout dépend s’il veut maximiser son profit ou pérenniser l’entreprise qu’il a créée. Dans la seconde option, il n’en tirera pas forcément le meilleur prix, mais il évitera de vendre à un concurrent qui prendra ce qui l’intéresse et fermera l’entreprise. Il aura également l’assurance du maintien des emplois, et la satisfaction de laisser les clés à des salariés qui connaissent leur outil de travail et son fonctionnement. Il s’agit là d’une transmission presque familiale.
Quel est le rôle de l’Urscop dans ce processus ?
L’Urscop accompagne le dirigeant qui s’apprête à partir et ses salariés qui souhaitent prendre la suite. L’aide que nous apportons à ce moment-là est multiforme : nous assurons des formations pour les salariés, nous les aidons à trouver des financements, à rédiger les statuts… L’Urscop peut même servir de garantie sur un emprunt bancaire classique en se substituant aux cautions personnelles des dirigeants… Tout est fait pour que la transmission soit bénéfique à tous, et que l’entreprise, comme les emplois, soit pérenne.
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