Rares sont les habitants d’Occitanie qui n’ont pas eu à se plaindre des moustiques cet été. Et qui s’interrogent souvent sur l’absence de démoustications massives. Mais si les pouvoirs publics de mènent pas d’opérations de grande ampleur visant à éradiquer ces nuisibles, c’est pour une bonne raison. Isabelle Esteve-Moussion, ingénieur santé-environnement, et coordinatrice de la lutte antivectorielle (lutte contre les épidémies transmises par les insectes) à l’Agence régionale de santé d’Occitanie, organisme responsable des démoustications, nous l’explique en détail.
Isabelle Esteve-Moussion, quel est le rôle de l’Agence régionale de santé (ARS) Occitanie dans la lutte contre la prolifération des moustiques ? Pourquoi est-ce l’ARS qui la pilote ?
Nous ne nous intéressons qu’à un seul moustique : le moustique tigre. Car c’est celui qui transmet des maladies. Des maladies que l’on ne connaissait pas en Europe, que l’on ne sait pas guérir, juste en traiter les symptômes, et pour lesquelles il n’existe pas de vaccins, à savoir la dengue, le zika et le chikungunya. La potentielle transmission de ces virus est une problématique de santé publique, et c’est pour cela que l’ARS est chargée de lutter contre le vecteur de propagation qu’est le moustique tigre. Auparavant, cette compétence relevait des Conseils départementaux car la multiplication des moustiques n’était considérée que comme une nuisance. Mais depuis 2020 et la colonisation du pays par le moustique tigre (70 départements concernés cette année), la règlementation a changé.
Notre première mission est celle de divulguer des conseils pour limiter la présence du moustique tigre en Occitanie. D’abord, pour les conditions de vie des habitants de la région qui se feront moins piquer. Mais, surtout parce que plus nous parvenons à maintenir une densité faible de cet insecte, plus la probabilité qu’il rencontre une personne infectée par un virus et qu’il le transmette est faible. Ces personnes reviennent généralement, malades, de zones tropicales où elles ont elles-mêmes été piquées. Ainsi, nous conseillons aux voyageurs de retour sur notre territoire, de poursuivre les dispositifs de protection qu’ils ont utilisés durant leur séjour, pendant au moins sept jours.
« Le moustique tigre, c’est celui qui transmet des maladies »
Y a-t-il plus de moustiques cette année en Occitanie ou n’est-ce qu’une impression ?
Il s’agit d’un ressenti. La densité des moustiques ne semble pas la même partout, puisqu’à certains endroits, les habitants n’ont pas constaté une présence inhabituelle du nuisible. Mais, j’ai l’impression qu’effectivement, il y a eu plus de plaintes. Que cet été, toutes les conditions étaient réunies pour qu’il se développe davantage. Nous avons vécu une année durant laquelle les températures ont été élevées et les précipitations faibles, ce qui nous a poussés à beaucoup arroser nos jardins, plantes et autres potagers. De quoi alimenter en eau propre des récipients, des jeux oubliés dehors, des coupelles de pots de fleurs… Le moustique tigre n’ayant besoin que d’une faible quantité d’eau pour se reproduire, et d’à peine trois ou quatre jours pour devenir adulte, nous avons participé activement à sa prolifération. Ainsi, il est indispensable après un arrosage ou une pluie, même infime, de faire le tour de son jardin et de vider toutes les eaux stagnantes. Sachez que le moustique dispose d’une aire d’activité restreinte : celui qui vous pique est né soit chez vous, soit chez votre voisin.
Pour lutter contre la prolifération des moustiques tigres, la démoustication chimique n’est plus pratiquée en Occitanie, comme ailleurs… sauf dans certains cas. Quels sont-ils ?
Nous déclenchons une démoustication chimique dans deux cas. La première situation est celle des “cas importés” : lorsque l’on recense une personne revenant de l’étranger, atteinte de dengue, de zika ou de chikungunya et qui réside dans une zone d’activité du moustique tigre, nous déclenchons un traitement biocide (diffusion de produits chimiques destinés à lutter contre les organismes nuisibles à l’homme ou à ses activités, NDLR). La seconde est celle des “cas autochtones” : lorsque l’on recense une personne qui n’a pas voyagé, et dont la maladie a donc été transmise sur place. Ce qui signifie qu’à l’endroit où réside cette personne, était présent un moustique porteur du virus. Si dans le premier cas nous pouvions identifier une zone potentielle de transmission, dans le second, il s’agit d’une zone avérée de transmission. Alors, l’aire traitée est étendue et le traitement sera effectué deux fois pour maximiser l’efficacité du traitement. Cette procédure ne pouvant être déclenchée que par l’ARS. En Occitanie, une cinquantaine de démoustication chimique ont eu lieu depuis le début de l’été.
« Une cinquantaine de démoustication chimique a eu lieu en Occitanie depuis le début de l’été »
En Occitanie, comment se passe concrètement une démoustication chimique ?
Il existe deux modes de traitement : depuis un véhicule ou à pied lorsque nous avons l’autorisation de pénétrer dans les jardins. Le second étant plus maîtrisable. Dans les deux cas, l’opérateur en charge de la démoustication (Altopictus), diligenté par l’ARS Occitanie, pulvérise un brouillard, très fin, d’un pyréthrinoïde mini-dosé, qui retombe en une demi-heure ou une heure tout au plus. Ces traitements biocides sont réalisés sur la zone de vie d’un moustique, soit 150 mètres autour des zones d’activité de la personne malade (domicile, activité de loisirs, travail…)
Lorsqu’un traitement biocide est programmé, comment en sont informés les riverains et quelles mesures doivent-ils prendre ?
En cas de démoustication chimique, la population est prévenue via des courriers dans les boîtes aux lettres, dans lesquels sont mentionnées toutes les informations nécessaires. Et dans la situation de cas autochtones, et donc de foyer réel de transmission, nous alertons également les médias. Nous communiquons les horaires de l’opération et quelques conseils pratiques : fermer les fenêtres, rentrer le linge, maintenir les animaux à l’intérieur, surtout ceux à sang froid qui sont plus sensibles aux biocides, changer leur eau…
S’il y a précautions, c’est qu’il existe des risques… Quels sont-ils ?
Les biocides sont peu nocifs pour les mammifères et les humains, voire relativement anodins en faible quantité. Toutefois, au cas où, le centre antipoison est informé de toutes nos opérations de traitement. Mais, en 10 ans d’expérience, je ne l’ai jamais vu saisi suite à une démoustication effectuée en Occitanie. En revanche, l’impact sur les petits animaux à sang froid comme les tortues, les reptiles, les crapauds, les insectes en général… est plus important. Nous traitons donc uniquement quand cela est indispensable, et limitons les risques en utilisant des produits peu néfastes et faiblement dosés.
« Les biocides sont peu nocifs pour les mammifères et les humains, voire relativement anodins en faible quantité »
Si les risques sont maîtrisés, pourquoi ne pas traiter à grande échelle, sur toute une agglomération par exemple ?
D’abord, parce que les traitements sont réalisés à l’aide de biocides, des produits faits pour tuer, même si l’on parle d’un insecte gros comme une tête d’épingle. Ensuite, parce que si les démoustications étaient systématiques et régulières, les moustiques développeraient une résistance. Nous serions alors obligés de passer à des produits plus forts, et donc plus nocifs pour les humains. De plus, lors d’une opération menée par l’ARS, tous les moustiques ne sont pas tués, nous réduisons juste fortement leur densité car notre but reste de détruire LE moustique potentiellement contaminant, pas d’éradiquer tous ses congénères. Le rapport bénéfice-risque ne serait donc pas intéressant.
Quand devrions-nous voir la population de moustique décliner ?
Avec la diminution de la durée du jour, les moustiques tigres commencent à pondre des œufs qui vont se mettre en sommeil, pour n’éclore que l’année prochaine. Les moustiques ne vivant qu’un mois, il va donc y avoir, à partir du mois d’octobre, moins d’adultes et plus du tout d’éclosion. La surveillance de l’ARS s’arrête elle à la fin novembre, période à laquelle la densité sera extrêmement faible.
« Nous pouvons, à titre individuel, participer à limiter la prolifération du moustique tigre l’été prochain »
Faut-il s’attendre au pire l’été prochain ?
Nous pouvons, à titre individuel, participer à limiter la prolifération du moustique tigre l’été prochain. Pour cela, il convient, dès le mois d’avril, de vider régulièrement toutes les réserves d’eau stagnante qui peuvent se créer dans votre jardin ou sur votre balcon, mettre du sable dans les coupelles et nettoyer les descentes de gouttières. Il faut aussi frotter les pots de fleurs, éventuellement avec de la javel, car les moustiques tigres pondent des œufs, invisibles car trop petits, qui se collent aux parois du mobilier de jardin. Si chacun suit ces conseils, nous pourrions avoir moins de moustiques l’année prochaine.
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