Comme une entreprise classique, une exploitation agricole se crée, vit, se développe, puis se transmet. Mais elle a ceci de particulier que sa cession inclut une grande part d’humain, trop souvent négligée. Le psychosociologue Dominique Lataste revient sur cette dimension cruciale.
Alors que se profile l’âge de la retraite, de nombreux agriculteurs se trouvent bien dépourvus lorsque vient le temps de la cession de leur exploitation. Si, pour certains, il ne s’agit-là que d’un capital à vendre au plus offrant, pour d’autres, ce n’est pas qu’une simple transaction financière mais une véritable transmission qui assurera la pérennité de la ferme. Une étape à anticiper d’autant plus sérieusement quand on sait que l’agriculture est le secteur d’activité ou le taux de reproduction est le plus fort, l’accès aux terres étant difficile. La transmission est souvent la seule alternative à l’installation de nouveaux producteurs.
Si les deux-tiers s’effectuent dans le cadre familial, 30 à 40 % se font à destination d’un tiers. « C’est dans cette situation qu’une préparation est indispensable », estime Dominique Lataste, psychosociologue, spécialiste de la transmission d’exploitation agricole, « tant pour le cédant que pour le repreneur ». Selon lui, il convient d’anticiper cette étape trois à cinq ans à l’avance. Bien sûr sous le prisme professionnel, mais aussi psychologique.
Un appui psychologique tant pour le cédant que pour le repreneur.
Du côté du vendeur, « il est nécessaire de prendre la mesure de ce qui se joue, tout en gardant du recul ». « C’est pour nombre d’agriculteurs très difficile à faire », constate l’expert. Car la transmission est d’abord synonyme de retraite, période souvent anxiogène, surtout quand l’activité à la ferme est le principal centre d’intérêt de l’exploitant. Une forme de mort sociale à laquelle il ne veut pas se confronter. Il faut même repenser sa propre identité : « Lorsque le producteur vit sur les lieux, la maison, les terres, le potager, les bêtes, et les voisins constituent sa personnalité. S’il doit s’en séparer lors de la vente, il doit être prêt à se réinventer », avance Dominique Lataste, pour qui ce cheminement demande un appui psychologique.
Pour finir, l’agriculteur doit accepter que le repreneur ait un projet différent du sien, soit par une volonté de développement, soit par un nouveau mode d’exploitation. D’ailleurs, le psychosociologue explique qu’un travail similaire doit être effectué par l’acheteur : « Même si celui-ci aura réfléchi à un projet précis, il doit être capable de l’adapter. Il ne doit pas attendre non plus la ferme idéale pour s’installer, au risque de ne jamais la trouver. » Sans oublier qu’il faudra convaincre un agriculteur expérimenté de lui céder son bien…
Car une transmission est avant tout une histoire de rencontre et de confiance entre deux individus. Cette démarche est une véritable aventure humaine qui peut même être vécue comme une filiation professionnelle. Ce qui explique la complexité de l’acte si les parties n’y sont pas préparées. Une réflexion que Dominique Lataste a présentée au Conseil économique, social et environnemental : « J’y ai démontré que l’économie écrase la dimension psychologique. Les disparitions de petites fermes faute de transmission sont systématiquement justifiées par un manque de rentabilité. Pour moi, elles meurent en réalité d’un défaut de préparation. » Le spécialiste préconise donc d’intégrer ces considérations aux formations déjà existantes qui pour l’instant, privilégient l’administratif et le juridique.
Psychosociologue, il est formateur à la transmission d’exploitations agricoles au cabinet Autrement Dit, situé dans la Loire. Il est également chercheur associé à l’université Paul-Valéry Montpellier 3.
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