L’importante communauté scientifique toulousaine s’intéresse de près au biomimétisme et peut se targuer de belles avancées en la matière. Rencontre avec des chercheurs qui tentent de percer les secrets de la nature avec l’espoir de faire aussi bien qu’elle.
Il s’intéresse à des éléments vieux comme le monde, que l’on trouve partout. Physicien et directeur de recherche au CNRS, Michel Mitov pilote l’équipe cristaux liquides du Centre d’élaboration de matériaux et d’études structurales (Cemes) de Toulouse. Ces experts ont travaillé sur un vitrage anti-canicule qui réfléchit une grande partie du spectre solaire et évite ainsi que la chaleur n’entre dans un bâtiment : « En tournant un bouton, on annule progressivement cette propriété de réflexion pour laisser passer l’énergie. Avec un tel matériau, il n’y a plus besoin de climatisation. On peut même imaginer l’intégrer aux peintures des façades », détaille Michel Mitov.
Deux brevets ont été déposés par le CNRS pour cette invention directement inspirée de la carapace du scarabée et du crabe, qui réfléchit les infrarouges, sans doute pour réguler la température corporelle. Une prouesse que l’on doit aux cristaux liquides qui recouvrent leur surface : « Ces structures en forme d’hélice étaient là – bien avant les écrans plats ! – il y a au moins 400 millions d’années », précise le chercheur. Des éléments omniprésents dans le règne animal comme végétal, légèrement différents selon les fonctions qu’ils remplissent, sur une feuille, sur la peau d’un fruit ou sur celle d’un insecte. « On voit là à quel point le système évolutif est économe. Au lieu d’inventer un nouveau matériau, la nature modifie ce qui existe déjà. Elle parvient à créer des structures très complexes à partir d’une poignée d’atomes. Nous devons nous inspirer de sa façon de faire beaucoup avec peu », estime le chercheur.
Une récente publication de l’équipe de Michel Mitov révèle par ailleurs que la carapace d’un scarabée est composée de micromiroirs qui réfléchissent la lumière de deux façons, tels des bits informatiques : « On pourrait les utiliser pour accélérer le débit des réseaux Internet », suggère le physicien. Autre capacité étonnante de la cuirasse du petit coléoptère, celle de changer de couleur selon l’angle par lequel on la regarde, à priori afin de gêner et d’échapper aux prédateurs : « C’est le premier afficheur à cristaux liquides ! Et on le retrouve aujourd’hui sur les logos anti-contrefaçon de nos billets de banque », s’amuse le scientifique.
Ce dernier cite également l’exemple des cristaux présents dans les écailles de poisson, qui assurent leur solidité et leur élasticité, et dont on pourrait s’inspirer pour mettre au point des matériaux haute résistance. « Le sujet du biomimétisme est encore neuf pour la communauté scientifique. Les challenges sont nombreux et beaucoup de choses vont sortir dans les prochaines années », prédit Michel Mitov.
« Les challenges sont nombreux et beaucoup de choses vont sortir dans les prochaines années »
Au Centre interuniversitaire de recherche et d’ingénierie des matériaux (Cirimat) de Toulouse, Christophe Drouet mime aussi le vivant. Avec une équipe d’une trentaine de scientifiques et de doctorants, il copie, en laboratoire, la partie minérale de l’os humain, composée de nanoparticules de phosphate de calcium : « Nous avons réussi à créer des substituts analogues au système osseux de l’Homme, des implants qui ne sont donc pas rejetés par l’organisme. Les cellules croient que c’est de l’os et, sans qu’il y ait de réaction à un corps étranger, colonisent le biomatériau. »
Il est en outre possible de conférer à ce dernier des propriétés complémentaires, régénératives ou antimicrobiennes, « toujours en utilisant les mêmes stratagèmes que la nature », insiste Christophe Drouet. Des travaux pour lesquels ce directeur de recherche au CNRS a reçu l’award d’excellence de l’International society for ceramics in medicine, et qui ont déjà abouti à la commercialisation de deux ciments osseux, en attendant d’éventuelles applications dans les domaines orthopédiques ou dentaires et la fabrication d’implants en trois dimensions. « Nous maintenons un volet applicatif important et sommes toujours à la recherche de partenariats avec des industriels », rappelle-t-il.
« Nous avons compris que nous ne ferons jamais mieux que la nature »
Dans cette optique, le Cirimat étudie également les propriétés de polymères naturels, comme la superhydrophobie des feuilles de lotus ou de nénuphars : « L’eau s’écoule dessus, elle ne s’y écrase pas. C’est une fonction très intéressante pour développer des matériaux aux surfaces autonettoyantes », explique Christophe Drouet.
Le biomimétisme est aujourd’hui tant plébiscité par la communauté scientifique qu’un groupe de recherche CNRS vient d’être lancé sur le sujet, qui réunit des roboticiens, des physico-chimistes, des pharmaciens, etc. « Ensemble, nous construisons les biomatériaux de demain. Nous savons que la nature a quelques centaines de millions d’années de recul de plus que nous. Et nous avons compris que nous ne ferons jamais mieux qu’elle. »
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