Stéphane a passé 16 ans sans domicile fixe. Aujourd’hui, à 53 ans, il vient enfin de retrouver un toit à lui. Avec du recul et beaucoup de franchise, il parle de la ‘’bouteille’’, de la manche, des squats et de la rigueur de la rue. Au fil du récit, les souvenirs resurgissent. Comme il dit, « parler, ça fait tourner le manège ! »
Dans la rue, c’est encore la bouteille qui vous tient le plus fermement la main. Stéphane le sait, il a passé 16 ans « dehors » en sa compagnie. Bien sûr, il y avait aussi sa chienne Belle qui l’a accompagné toutes ces années et dont une photo égaye le mur du salon. C’est l’unique élément de décoration de la maison et le seul vestige d’un temps révolu. À part, peut-être, un visage anguleux, durci et émacié par la rue où les yeux, restés clairs, accentuent un sourire un peu gouailleur.
« C’est arrivé tout simplement », commence cet ancien sans-abri de 53 ans qui vit aujourd’hui, dans son propre appartement. « Je viens de Bruxelles où je menais une vie normale. Mais je suis tombé dans la bouteille. Et là, c’est le parcours banal : l’alcool prend le dessus, on perd le boulot, on perd la madame et puis on se laisse aller. » Après quelques « conneries » qui lui valent de découvrir les geôles belges, Stéphane suit les conseils de son père et décide de changer d’air.
« J’ai démarré la rue à Paris, à 28 ans. J’ai beaucoup traîné dans les squats et les trains. J’allais de droite à gauche. J’ai voyagé et rencontré beaucoup de monde sur la route », raconte Stéphane qui a enchaîné les petits boulots saisonniers et non déclarés. En période de vache maigre, il fait la manche « à la circulation » et se retrouve parfois contraint de voler pour manger et boire. Arrivé à Toulouse, il vagabonde et dort sous les porches quand ce n’est pas sur les escaliers de la piscine Léo Lagrange avec des compagnons d’infortune. « Au début, on a peur, puis ça devient une habitude. J’ai essayé les centres d’hébergement d’urgence, mais ce n’était pas pour moi. J’étais avec un ami et nous étions toujours alcoolisés », admet-il.
« Au début, on a peur, puis cela devient une habitude »
« Moi, j’étais un batailleur, cela m’a sauvé, mais beaucoup de mes amis sont morts », témoigne ce rescapé de la rue. Alcool, drogues, médicaments, suicides, bagarres… La liste de « ceux qui n’ont pas eu la force d’avancer » est longue. « Dans mon malheur, j’ai eu de la chance de tomber dans une bonne période », nuance pourtant Stéphane qui estime que la vie dehors s’est encore durcie. « C’est de plus en plus difficile pour ceux qui ont une vie normale. Alors pour les sans-abris, c’est encore pire. »
C’est lors d’un petit-déjeuner servi par le Secours catholique, qu’un bénévole donne à Stéphane le contact de SoliHa, une association qui œuvre pour l’accès au logement. « Cela a été le déclencheur. Ce sont eux qui m’ont trouvé un appartement tremplin », reconnaît-il. Mais sortir de la rue n’est pas si facile. Stéphane héberge d’autres sans-abris et enfreint les règles du contrat passé avec l’association. « Les voisins se plaignaient car nous buvions. J’ai fini par dire stop mais c’était dur. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé au chaud alors qu’eux étaient encore dehors », soupire-t-il. Stéphane passe ainsi sept ans dans cette situation transitoire et c’est un accident vasculaire cérébral qui le contraint à la sobriété.
Abstinent, il vient enfin de s’installer dans son propre appartement. Le premier où il se sent réellement chez lui, avec Plume, sa nouvelle chienne. Mais il doit réapprendre certains gestes du quotidien. « La rue cultive l’ignorance », considère Stéphane qui garde des séquelles de son AVC. « Aujourd’hui, je suis handicapé. Je marche de traviole et je ne peux plus travailler… Mais je m’en sors bien », conclut-il, arborant ce même sourire avec lequel il a affronté toutes ces années de galère.
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