Si tout se passe comme prévu, il sera bientôt possible de boire du thé produit en Occitanie. Et plus précisément à Tournay, commune des Hautes-Pyrénées où un aventurier passionné de plantes s’est lancé le défi fou d’introduire en pleine terre cet arbuste originaire des piémonts de l’Himalaya.
®Franck AlixLes étincelantes feuilles jaune doré d’un ginkgo, arbre sacré d’Asie, le seul à avoir survécu à la bombe atomique larguée sur Hiroshima, donnent le ton de la visite. Comme dans un cocon protégé par les plateaux et collines environnantes, les Pépinières de Tournay, situées entre Tarbes et Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, abritent plus de 500 variétés ornementales et fruitières. Un véritable paradis du végétal au cœur de la nature.
Mais pour découvrir ce qui fait de l’endroit un lieu unique, il faut encore emprunter un chemin que les pluies incessantes de novembre ont rendu presque impraticable. Puis quitter le sentier longeant le ruisseau pour grimper en s’accrochant aux branches d’arbres. Comme autant de secrets bien gardés, apparaissent alors 400 pieds de Camellia Siensis. Au mois de mars prochain, ils seront 1 200. En langage courant, ces arbustes hauts, pour l’instant d’une quarantaine de centimètres et sagement alignés sur un terrain en pente, sont des théiers. Originaire des piémonts orientaux de l’Himalaya, la célèbre plante exotique s’est développée dans divers endroits du monde. En Europe, on en produit sous serre, notamment aux Pays-Bas. Mais en France métropolitaine, c’est une première. « Il y a sept ans, quand j’ai acheté ces terres, je savais précisément que ce serait sur cette parcelle que je ferais pousser du thé », confie Clément Bruinaud.
Passionné de plantes depuis l’enfance, ce trentenaire a quitté en 2013 son poste de responsable de production horticole dans les Landes pour s’installer dans les Pyrénées. Avec déjà une idée derrière la tête. « Quand j’étais étudiant à Angers, j’avais vu un reportage sur un projet de caviar 100% français. À l’époque, cela faisait rigoler tout le monde, mais cela m’a donné envie de devenir pionnier dans le domaine du végétal », raconte-t-il.
« Devenir pionnier dans le monde du végétal »
Six ans plus tard, une fois son activité de pépiniériste bien installée, il engage enfin son pari fou : faire du thé occitan. C’est en avril dernier qu’il a mis en terre ses premiers plants. Un défi technique dans lequel l’aventurier s’est lancé sans certitudes, mais avec de fortes intuitions. « Regardez », dit-il en montrant une belle feuille d’au moins 20 centimètres. « C’est très intéressant. Cela prouve que la plante est en parfaite santé. »
Avant de crier victoire, Clément Bruinaud préfère toutefois attendre 2022, année au cours de laquelle il estime pouvoir effectuer sa première récolte. D’ici là, ses arbustes devraient avoir atteint 1,50 mètre. Mais si le chef d’exploitation s’est installé ici, c’est loin d’être un hasard. « Nous sommes situés à quelques centaines de kilomètres seulement au Nord du dernier parallèle optimal pour la production de thé. Et avec le réchauffement climatique, la zone est désormais propice. De plus, la terre argileuse est exceptionnelle et offre tout ce qui est nécessaire », explique le pépiniériste. Enfin, aussi étonnant que cela puisse paraître, Tournay bénéficie d’un microclimat qui lui vaut son surnom de « petit Nice de Bigorre ». La configuration des lieux protégeant la commune des intempéries extrêmes.
Pour aller plus loin, le jeune homme aura recours à l’agroforesterie : des arbres seront plantés au milieu des théiers pour favoriser la biodiversité. En outre, ceux-ci n’ont pas besoin d’irrigation permanente ou de traitement chimique. « Les seules menaces sont le gibier et le froid », résume Clément Bruinaud. Or, pour l’instant, les chevreuils n’ont pas encore été tentés par ces feuilles qu’ils ne connaissent pas et de premiers spécimens de démonstration mis en terre il y a plus d’un an, en contrebas, au sein des pépinières, ont résisté à des températures inférieures à cinq degrés l’hiver dernier. Une acclimatation jusque-là sans embûches donc, mais qui occupe totalement l’esprit de l’horticulteur. Pour la suite, il affirme juste vouloir créer un produit d’exception, du thé blanc impérial non torréfié, « le plus vertueux pour l’organisme ».
« Je lance des graines, nous verrons bien si elles germent ou pas »
Pour cela, les feuilles seront seulement séchées à l’air libre, sur la parcelle, directement après récolte, afin d’éviter qu’elles ne fermentent. Sans même avoir d’indication sur les futures quantités ou les prix, de potentiels clients ayant entendu parler du projet se sont déjà manifestés, dont des salons de thé haut de gamme et un consortium chinois. « Beaucoup de monde est au courant, donc je commence à avoir un peu de pression ! Mais ce qui me motive, c’est vraiment l’expérimentation sur le terrain. Je lance des graines et nous verrons bien si elles germent ou pas. Je veux montrer qu’on peut essayer de nouvelles choses en agriculture ». Et aussi qu’un terroir n’est pas voué à rester figé pour l’éternité.
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