« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux. » Les débats provoqués par l’adoption de la loi Avia visant à mieux sanctionner les contenus haineux en ligne remet au goût du jour cette citation approximative de Benjamin Franklin. S’oppose alors la vision d’un Internet totalement libre et celle d’un espace protégé et accessible à tous. Car, malheureusement, l’anonymat apparent du Web révèle parfois la face la plus sombre de certains d’entre nous. Le JT a surfé sur les solutions permettant de lutter contre les déversements de violence sur la Toile.
Deux par seconde. C’est la cadence à laquelle les propos haineux se retrouvent sur Internet selon une étude réalisée en 2017 par Kantar Media. L’agence d’analyse du Web a ainsi observé, durant 24 heures, les commentaires des sites, blogs et réseaux sociaux les plus fréquentés. Au total, plus de 200 000 insultes ont été constatées en une seule journée.
Un phénomène démultiplié par l’outil de diffusion lui-même qui ouvre un espace de paroles à tous. « Si la liberté d’expression garantie par Internet est positive, elle peut facilement dériver par manque de filtres », expose Laurence Allard, sociologue spécialisée en sciences de la communication.
D’autant plus depuis l’avènement des réseaux sociaux. Par le partage, les likes et les tags, les récepteurs deviennent à leur tour des émetteurs et offrent une audience dix fois plus importante au discours. « Les principes utilisés par Twitter, Instagram et autres Facebook pour repérer les propos haineux sont les mêmes qui permettent de cibler les internautes pour leur suggérer ce type de contenus », précise-t-elle.
« De véritables propagandes diffusées par des activistes »
Sans compter l’impunité, ou presque, qui règne sur Internet. Sous couvert d’anonymat, la parole se libère. Pour Laurence Allard, le phénomène va même plus loin : « Nous parlons de pseudonymat. » Au-delà de se cacher derrière une fausse identité, certains s’en servent pour revendiquer des idées sexistes, racistes ou homophobes. « Comme un nom d’auteur, ils utilisent des pseudonymes pour occuper la scène et s’arroger une tribune à l’audience gigantesque. Il s’agit de véritables propagandes diffusées par des activistes », précise la sociologue.
Ainsi, 53 % des internautes français disent avoir déjà été confrontés à des propos injurieux, d’après un sondage Opinion Way publié en décembre 2018. Le plus souvent, il s’agit d’allégations sexistes et racistes. « Ce sont les mêmes sur Internet que dans la vie réelle. À la différence que le Web permet de les supprimer », commente Laurence Allard. Mais concernant cet arbitrage entre liberté d’expression et retrait des discours de haine, 37 % des sondés estiment qu’il est préférable de préserver la première. « Attention », prévient la sociologue, « les déclarations sexistes, racistes et homophobes ne sont pas des opinions, mais des délits. Les effacer ne relève donc pas de la censure, mais du respect de la loi. »
« Les propos haineux ne sont pas des opinions, mais des délits »
D’ailleurs, si 84 % des personnes interrogées par Opinion Way les jugent scandaleuses, elles ne sont que 20 % à les signaler. D’abord, parce qu’il est plus facile de fermer une page Internet immédiatement si le contenu dérange, comme c’est le cas de 32 % des Français. Ensuite, parce que la manœuvre n’est pas forcément évidente sur tous les sites. Enfin, par lâcheté sociale, « la même qui empêche les témoins d’une agression d’intervenir », selon la spécialiste des comportements numériques.
Afin de mettre un terme aux interprétations, de développer une autorégulation et de sanctionner les diffuseurs de propos haineux, la loi dite Avia vient d’être votée à l’Assemblée nationale. Elle impose notamment aux plateformes de les retirer sous 24 heures.
Sources : Testing européen du Mouvement antiraciste européen (Egam), sondage “Les Français et les discours de haine sur Internet” d’Opinion Way (2018)
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