Chaque jour, sauf le lundi, éducateurs et psychologues de l’Association régionale de prévention et d’aide face aux dépendances et aux exclusions ouvrent les portes du Point écoute jeunes pour une après-midi de permanence dans le quartier Patte d’oie. Aux habituelles problématiques de sexualité, d’alcool ou de drogues, vient désormais s’ajouter la question de l’usage excessif des écrans.
®Franck AlixDans une petite villa du quartier Patte d’oie, au fond d’un agréable jardin, les professionnels de L’Association régionale de prévention et d’aide face aux dépendances et aux exclusions (Arpade) se préparent pour une après-midi de permanence au Point écoute jeunes (PEJ). « Notre organisme a été créé dans les années 1970 pour accueillir des toxicomanes. Dans les années 2000, nous avons élargi notre champ d’action pour prendre en charge également les problèmes d’addiction sans produits comme le jeu pathologique et le sexe », présente Eric Gautier, l’un des membres de la structure.
Éducateurs spécialisés ou psychologues, ils sont 14 à se relayer du mardi au dimanche pour offrir leur aide à des enfants, à des parents ou à des professionnels travaillant auprès des jeunes confrontés à des situations difficiles. « Nous ne sommes pas un lieu de prise en charge, mais de prévention. Nous recevons tout le monde sans rendez-vous et toutes nos démarches sont menées selon un principe de libre adhésion », précise-t-il. Au total, ce sont plus de 800 personnes, dont 658 jeunes qui viennent chaque année trouver conseil au PEJ. « Les gens s’adressent à nous pour des questions liées à l’adolescence ou aux conduites à risque. Forcément, la thématique de la consommation excessive des écrans s’est imposée ces dernières années », constate l’éducateur. Celui-ci précise d’ailleurs que la notion d’addiction aux écrans ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique.
« La première génération de parents à accompagner leurs enfants dans cette révolution numérique »
Les premiers rendez-vous servent en général à cerner les difficultés, pas toujours clairement identifiées, de ceux qui viennent frapper à la porte du PEJ. « Quand des parents arrivent pour ce type de problèmes, nous essayons tout d’abord de prendre de la distance avec leur plainte et de comprendre comment fonctionne la famille. Car l’addiction est, dans la plupart des cas, le symptôme d’autre chose », avertit Eric Gautier. Généralement, l’accompagnement consiste essentiellement en un travail de médiation entre les parents et leur enfant. « D’un côté, nous tentons de voir avec les parents ce qu’ils peuvent encore mobiliser dans leur stratégie et, de l’autre, nous invotons le jeune à s’exprimer sur son usage. Car les deux parties appréhendent rarement les choses de la même manière », analyse Eric Gautier. « Être en permanence présent sur les réseaux sociaux est normal. Si l’on n’y est pas, c’est trop bizarre », répondent, en effet, la plupart des jeunes concernés. « Les adultes ont du mal à se rendre compte à quel point les écrans sont implantés dans leur vie. Nous sommes la première génération confrontée à cette révolution numérique qui nous dépasse », rappelle Eric Gautier. Mais si certains parents s’inquiètent prématurément, d’autres cas sont bien plus alarmants.
« Exceptionnellement, nous pouvons être amenés à nous rendre au domicile familial pour toquer à la porte de la chambre d’un gamin qui est scotché 12 à 15 heures par jour sur son ordinateur. Il peut même arriver, si celui-ci refuse de nous ouvrir, que nous soyons obligés d’entamer le dialogue à travers une porte fermée », témoigne Dominique Mazelaygue, également éducateur spécialisé à l’Arpade. « Dans les cas les plus critiques, il peut y avoir une inversion des cycles jour-nuit. C’est la conséquence la plus caractéristique d’une dynamique d’isolement. Pour remettre en place un cycle de sommeil naturel, il peut-être nécessaire de passer par une prise en charge médicale en concertation avec le médecin de famille », complète Éric Gautier.
« Mais nous avons peu d’outils à notre disposition et pas de protocole établi »
Une fois le premier contact établi, les éducateurs s’attellent à un long travail de prise de conscience de la situation. « Selon le point de vue du jeune, ce n’est pas l’ordinateur ou sa pratique qui posent problème, mais ses parents », explique Dominique Mazelaygue. « Dans un deuxième temps, nous essayons de déterminer ce qu’il est prêt à faire. L’idéal est d’identifier un embryon de motivation que l’on puisse stimuler sans être trop insistant. Si nous ne trouvons pas le moindre désir, c’est que nous sommes face à une dépression et nous nous tournons vers le psychologue. Nous avons peu d’outils à notre disposition et pas de protocole établi. Nous devons tout réinventer systématiquement », résume Eric Gautier. Accompagner un jeune pour un rendez-vous avec le conseiller d’orientation, le convaincre de s’asseoir à table avec sa famille ou seulement le faire sortir de sa chambre. Dans le combat contre l’isolement et l’usage excessif des écrans, les gestes les plus simples peuvent prendre la saveur d’une victoire.
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