Au fil d’une longue série de 94 peintures intitulée Three letters et exposée jusqu’au 20 septembre au Musée de la résistance et de la déportation à Toulouse, l’artiste Emmanuel Bornstein fouille et ranime la mémoire de trois destins liés par trois mots : peindre, écrire et résister. Une exposition à visiter virtuellement, en attendant la réouverture des musées.
Carmen Siedlecki est une déporté-résistante rescapée d’Auschwitz. C’est aussi la grand-mère du peintre d’origine toulousaine Emmanuel Bornstein. Franz Kafka est un romancier majeur du vingtième siècle. Eric, lui, est un jeune poète et ami de l’artiste qui a mis, trop tôt, fin à ses jours. Dans sa série « Three Letters. Peinture. Écriture. Résistance. », exposée jusqu’au 20 septembre prochain au Musée départemental de la résistance et de la déportation de Toulouse, Emmanuel Bornstein fait dialoguer la mémoire de ces trois destins en s’appropriant, par la peinture, des lettres et des documents d’archives. L’artiste présente ainsi 94 peintures sur papier dans lesquelles il tente d’apprivoiser, de révéler, des vies marquées autant par la souffrance que la rage de vivre, la capacité de résilience et l’impératif de résistance.
L’histoire de Three Letters commence en 2016 à Toulouse. Lors d’une conférence des époux Klarsfeld, une chercheuse d’un service d’archives militaires prend contact avec la famille d’Emmanuel Bornstein. Cette dernière leur propose de récupérer une copie d’un dossier qu’avait monté sa grand-mère afin obtenir la reconnaissance de son statut de déporté-résistante ainsi que la légion d’honneur. « Je connaissais très peu de chose de sa vie. Elle est morte bien avant ma naissance et ne parlait jamais de ce qu’elle avait vécu. Ma famille ignorait qu’elle avait entrepris une telle démarche », précise le jeune artiste. Les 70 pages qui constituent le dossier se révèlent d’autant plus précieuses et poignantes. « Il y avait des documents administratifs, des papiers avec des photos d’identité, son étoile de David qu’elle avait conservé ainsi que des courrier manuscrits où elle a du raconter son parcours, parler des tortures qu’elle a subi », détaille Emmanuel Bornstein.
Très vite, Emmanuel Bornstein ressent la nécessité de s’approprier cet héritage exceptionnel. « Je me suis emparé de tous ces documents et j’ai naturellement entamé un dialogue avec eux », reconnaît le peintre. Dans un premier temps, celui-ci éparpille, sur le sol de son atelier, des copies de toutes les pièces du dossier. Empreinte de pas, coulures, taches de peinture… Ses propres traces viennent alors se superposer à celles de sa grand mère. Puis, le moment venu, il s’empare d’un document ainsi dégradé, parfois d’un simple fragment, et l’utilise comme matériau de base pour peindre.
« C’était peut-être, inconsciemment, une démarche me permettant d’assimiler toutes ces informations. De dépasser, par la couleur qui se superpose au noir et blanc, la froideur administrative de ces archives. Et, ainsi, de redonner une dimension humaine à cette histoire glaçante et kafkaïenne ». Une seule règle guide son travail : ne traiter chaque document qu’une seule fois. Comme si c’était l’original.
Cette méthode de travail consistant à peindre à partir de fragments de textes, Emmanuel Bornstein l’a déjà expérimenté avec un autre support : la Lettre au père de Franz Kafka. « Un an plus tôt, je venais de commencer ce travail sur les mots. C’était la première fois que le langage écrit intervenait dans ma peinture. Un peu comme si je m’étais préparé artistiquement à recevoir cet héritage », souligne-t-il. Alors, au-delà d’une continuité formelle, celui-ci prend conscience que ces deux travaux se complètent à bien des égards. Les deux destins qui l’occupent témoignent de vies marquées par la nécessité de survivre et de résister.
Alors, logiquement, une troisième figure s’impose à lui : celle d’Eric, son ami poète qui vient de mettre fin à ses jours. « Ce fût comme un réflexe. J’ai repris trois lettres qu’il m’avait écrite dix ans plus tôt et j’ai repris le même travail », se rappelle-t-il. Emmanuel Bornstein comprend alors que ces trois projets n’en font qu’un seul. « J’étais animé par la même volonté de recoller les morceaux d’un monde frappé d’absurdité. De reconstruire à partir des décombres ». Finalement composée d’une centaine de peintures sur papier, cette ode à la résilience a donc naturellement trouvé sa place, pour une première exposition, au sein du Musée départemental de la résistance et la de la déportation de Toulouse.
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