Sans-grade. Jean Jaurès est à l’odonymie, l’étude du nom des rues, ce qu’est le café des sports à la bistrologie : un classique ! Pratiquement chaque ville française lui a dédié une rue, un boulevard ou une allée. Mais il n’y a qu’à Toulouse que vous trouverez la trace du maréchal Clabel. Et encore…
Au hasard d’un trajet dans le quartier des Terrasses ou d’une prospection immobilière, votre GPS ou l’agence en ligne à qui vous avez décidé de faire confiance pourraient vous envoyer faire un tour par le chemin du maréchal Clabel. Pourtant, si vous demandez votre route à un passant, il aura certainement bien du mal à vous orienter. Parions même qu’il n’aura jamais entendu parler de ce singulier personnage. Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Ce n’est pas le premier maréchal dont on a oublié les faits d’armes qui lui ont valu la gloire de la plus haute distinction militaire nationale.
Mais qui est donc cet insigne dignitaire dont seul un petit chemin, dans un quartier résidentiel de la Ville rose, honore la mémoire ? Un seigneur local récompensé par un roi capétien après une énième croisade ou un siège victorieux ? Un obscur et intriguant marquis ayant obtenu les faveurs d’un Bourbon ? L’absence de particule laisserait plutôt envisager, de prime abord, d’un titre reçu sous le premier Empire ou pendant la période républicaine.
Profitant de l’imminence du bac, nous interrogeons, au pied de la basilique Saint-Sernin, des lycéens du centre-ville. En pleine période de révision, aucun détail du programme d’histoire ne devrait leur échapper. « On n’en a jamais entendu parler ! », répond en chœur le groupe d’adolescents. Interrompant sa partie de cartes, l’un d’entre eux dégaine son téléphone portable : « On peut chercher si vous voulez ! » Mais la tentative restera vaine. Sur Internet ou à la bibliothèque, aucun auteur ne s’est aventuré à écrire la biographie du personnage. Il faudra encore quelques essais pour trouver enfin une passante qui a « déjà entendu le nom », même si elle ne sait pas qui c’est.
Et pour cause, malgré son titre, le dénommé Clabel n’est mentionné dans aucun livre d’Histoire. Décidés à combler cette lacune, nous nous rendons au chemin du même nom. Sur place, l’évocation du maréchal fait sourire le voisinage. « C’est une confusion que font les gens. “Mal clabel” vient de l’occitan et veut dire “mal fermé”, ou “mal pavé” selon les traductions. Mais certaines personnes prennent l’élément ”Mal” pour l’abréviation de maréchal. Je trouve cela cocasse, ça glorifie quelqu’un qui n’existe pas ! » s’amuse Germaine, qui habite la rue depuis 62 ans. S’il a bien existé un Mal. De Foix et un Mal. De Crèvecœur, le Mal. Clabel, lui, n’est qu’une invention digne d’entrer au panthéon des malentendus. Il pourrait alors y prendre la tête d’un état-major fantaisiste, secondé par les très montagnards colonels Du Somport et Du Tourmalet.
Nicolas Belaubre
Nicolas Belaubre a fait ses premiers pas de journaliste comme critique de spectacle vivant avant d’écrire, pendant huit ans, dans la rubrique culture du magazine institutionnel ‘’à Toulouse’’. En 2016, il fait le choix de quitter la communication pour se tourner vers la presse. Après avoir été pigiste pour divers titres, il intègre l’équipe du Journal Toulousain, alors hebdomadaire de solution.
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