Les Abattoirs consacrent une exposition à l’œuvre du sculpteur Eduardo Chilida, La gravedad insistente, autour de l’idée d’espace et de gravité. Puissance de la matière et des éléments, et sobriété des formes se conjuguent chez cet artiste espagnol décisif dans le paysage contemporain du XXe siècle. – Claire Villard
© DRLa gravedad insistente s’organise autour d’une pièce maîtresse tout à fait surprenante : un pilier en acier de deux mètres de long, suspendu à la passerelle des Abattoirs, traversant les trois niveaux du bâtiment, et s’arrêtant à un mètre du sol. L’œuvre intitulée Beaulieu illustre à elle seule le défi du sculpteur jouant avec les lois de la gravité. Accrochée dans le vide, elle pend, immobile, comme si elle avait toujours été là, alors que, invisibles, des forces colossales entrent en jeu pour maintenir dans l’air ce morceau de métal de près de trois tonnes.
Énergie, poids, matière : Eduardo Chilida est un sculpteur de l’abstraction. Originaire de San Sebastian, il préfère le dessin à ses études d’architecture. Dans les années 1940, il s’installe à Paris, découvre le Louvre, réalise ses premières œuvres en plâtre, mais se détourne rapidement du figuralisme. Il retourne dans sa ville natale où il commence à travailler dans une forge. « C’est une révélation, pour lui. Il se met alors à utiliser cette méthode ancestrale pour créer quelque chose de nouveau », commente Annabelle Ténèze, directrice générale des Abattoirs. Eduardo Chilida refuse d’offrir des socles à ses sculptures. « Pour lui, elles font partie intégrante de l’espace dans lequel elles sont présentées », poursuit-elle. Certaines pièces de l’exposition toulousaine sont conçues de manière à ce que, en s’approchant, le spectateur ne voit pas leur support. Les contempler depuis l’étage supérieur offre une expérience plus globale et, sans doute, plus conforme à l’esprit de l’artiste.
Une autre salle accueille, elle, les Peignes du vent, structures installées sur la côte atlantique, et symboles de la ville de San Sebastian. Ces gigantesques bras incurvés sont implantés à même la roche, leur forme simplissime et ouverte tel un crochet, est pensée comme une porte entre l’océan et la terre, qui « coifferait le vent », de la même manière que celui-ci nous décoiffe d’habitude. « Un travail de plus de 20 ans qui a nécessité la construction de fours spéciaux mais aussi de rails imposants pour déplacer ces pièces jusqu’aux rochers devant les accueillir », raconte Annabelle Ténèze. Fasciné par les éléments naturels, il a fait partie des précurseurs du land-art avec ces ‘’peignes’’ monumentaux, à l’époque où, de l’autre côté de l’Atlantique, des artistes américains sculptaient les montagnes ou les déserts.
Le massif côtoie le fragile dans le travail du plasticien, qui passe du simple papier découpé aux matériaux lourds. Les coloris, eux, restent bruts, et l’artifice n’a jamais sa place. En deux dimensions aussi, il tente d’ « englober le vide », comme l’explique Annabelle Ténèze en indiquant la collection d’affiches sur lesquelles on retrouve les courbes épaisses et courtes des peignes.
Dans l’espace inférieur des Abattoirs, lui-même enterré à 11 mètres sous le niveau du sol, les pièces d’Eduardo Chilida semblent parfois en lévitation, quand d’autres manifestent tout le poids de la matière. À n’en pas douter, le lieu idéal pour faire vivre l’œuvre de cet artiste.
Cette exposition renvoie à celle du premier étage du musée, Gravité Zéro, une exploration artistique de l’aventure spatiale. Diamétralement opposées dans leurs formes et leurs intentions, les deux se rencontrent autour de l’idée de gravité, avec notamment la projection d’un film dans lequel l’astronaute Thomas Pesquet, en vol parabolique, réalise une sculpture en papier qui ‘’tient’’ en apesanteur, mais serait impossible à stabiliser sur Terre.
Eduardo Chilida, La gravedad insistente
Du 6 avril au 26 août
05 62 48 58 00
www.lesabattoirs.org
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