“L’art n’est pas autonome, mais il existe des espaces autonomes”
Eugenio Barba
Qu’est-ce que le théâtre ? C’est une pensée en pratique. C’est aussi un acte collectif. Une pièce a besoin d’acteurs, un acteur a besoin d’un spectateur. Une pièce a aussi besoin d’un auteur, un auteur a besoin d’une compagnie. Toute cette chaîne humaine et seulement humaine constitue une communauté éphémère se réunissant pour réaliser ensemble un objet théâtral qui n’a jamais existé auparavant. C’est aussi un art paradoxal où l’on a tant besoin des autres, mais qui exige un temps d’isolement pour créer, comme disait Camus, « une communauté de moines travailleurs, arrachés au siècle préparant l’office qui sera célébré un soir pour la première fois ». Un temps anachronique et anhistorique insoumis au rythme saccadé, pour éviter de diluer l’énergie, garder une dynamique de concentration. Le théâtre appelle donc une révolution du quotidien, une utopie vécue en secret. Parmi les modes opératoires, le plus rebelle aux conventions de production des institutions théâtrales est le laboratoire. On expérimente, on cherche, on essaie, on rate dix fois, cent fois, mille fois, on se perd, mais ça accouche d’une nouvelle proposition, la pensée devient mouvante, physique, en vie, indomptable.
C’est dans cette voie si courageuse que ce sont engagés Les LabOrateurs, structure constituée de jeunes comédiens issus de la « Classe Labo » de la section Art dramatique du Conservatoire à Rayonnement régional de Toulouse / Midi-Pyrénées, associée aux Chantiers Nomades. Emprunter ce chemin signifie s’écarter des chemins du circuit institutionnel théâtral pour se tourner vers la recherche et être des acteurs-créateurs. En ce sens, ils sont les héritiers du Studio d’Art de Stanislavski, du Théâtre des 13 rangs de Grotowski et de l’Odin Teatret, cette lignée aux expériences salutaire pour le théâtre, qui a cherché de façon concrète et empirique à le réformer. Ce choix décisif entraîne création et analyse sur l’acteur, son travail. Entraîne une méthode aussi, une mode de fonction communautaire, enfin une exploration du territoire dramatique, c’est-à-dire ancien, moderne, postmoderne. C’est donc le théâtre dans tous ses paramètres de construction qui est abordé avec labeur et conviction.
Et c’est pour cette raison qu’après les avoir vus investir le site de l’ancienne usine AZF pour une création in situ: « Hyperland », qu’ils reprennent en septembre 2015, nous les suivons dans une classe d’école, pour un projet qu’ils présentent à des collégiens aveyronnais courant mars. Nous sommes convoqués à assister à une « conférence » sur la question primale, fœtale et si bien sentie, « C’est quoi le théâtre ? »
Les artifices mis en place nous permettent de comprendre ce qu’est une représentation, une remise en question des codes quotidiens, un instant où un lieu se transforme en scène. La dimension didactique, présente, mais non pesante permet de sortir des clichés ancrés dans des générations de collégiens par la manière dont sont abordés des auteurs comme Racine ou Novarina. Traitée seulement dans une histoire littéraire, les LabOrateurs sortent le théâtre des manuels et l’installe dans la classe lui donnant chair. En embrassant son histoire par le jeu, le désacralisant. Par ce biais, les LabOrateurs œuvrent a une mission nécessaire qui décloisonne l’art et transforme sa rencontre avec des collégiens en expérience sensible.
Tâche généreuse qui démontre que l’entreprise laborantine exemplaire de ces jeunes comédiens est artistique et pédagogique. Leur réponse à la question « C’est quoi le théâtre? » pourrait être celle-ci: une école, un lieu de construction d’une utopie. D’évidence, à suivre.
Mathieu Méric
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